L'observation du chômage au BIT pendant l'entre deux guerres (Machiels)

Note de l'article:
Christine Machiels, L'expertise internationale sur le chômage pendant l'entre-deux guerres. L'observation du chômage au BIT: un enjeu politique et économique, CARHOP, 2015-1

BIT: Bureau International du travail
OIT: Organisation Internationale du travail

1. Contexte de l'OIT

Cette analyse s'inscrit dans le cadre d'une enquête sur les préjugés contre les chômeurs. L'"expert" met en place des discours moraux sur l'"aide" sociale, ce qui a un impact sur les chômeurs touchés par ces dispositifs.

L'OIT est créée par la conférence de Versailles en 1919. Son secrétariat permanent, le BIT est saisi du problème du chômage et enchaîne alors rapports et conférences. Ces conférences sont tripartites: gouvernements, ouvriers et patrons; elles produisent des conventions et des recommandations.

Les lignes de la politique sur le chômage sont fixées à Washington, en 1919. Les travailleurs des autres membres de l'OIT doivent être traités comme les travailleurs nationaux. L'organisation recommande
l'interdiction des bureaux de placements payants, au contrôle de tels bureaux déjà existants, au contrôle du recrutement collectif dans chaque pays, à l'organisation de l'assurance contre le chômage et l'établissement d'une politique rationnelle des travaux publics. (1)
La Belgique ne ratifiera la convention sur le chômage en 1930. L'assurance chômage libre et subventionnée se développe: le nombre d'assurés passe de 126.000 en 1913 à 669.000 en 1921.

L'OIT adopte trois conventions et sept recommandations relatives au chômage entre les deux guerres. Elle s'inquiète

- de la méthode statistique
- du placement public ou payant [les agences d'intérim constituent un formidable retour en arrière à ce niveau]
- de l'institutionnalisation de l'assurance-chômage
- des remèdes économiques (relance économique et gestion migratoire)


2. Immigration et chômage

Les associations internationales font le lien entre l'immigration et le chômage. On peut lire dans le rapport de la section belge de l'Association Internationale de lutte contre le chômage:

Notre pays qui, de même que la France, a besoin de main d’œuvre pour sa restauration, est dans la situation paradoxale de devoir accueillir ou appeler des travailleurs étrangers alors que ses propres ouvriers s'expatrient. (...) "les travailleurs étrangers ne doivent être admis en Belgique que comme main d’œuvre d'appoint quand la nécessité de leur concours a été dûment établie". (2)
Ce lien utilitariste et anti-humaniste à l'immigration est pleinement partagé par le BIT.


3. Le chômage-assistance et le chômage-assurance

L'OIT est héritière des mouvements réformistes autour de 1900. Ces mouvements s'inscrivent déjà dans le tripartisme.

Henri Fuss devient secrétaire de l'Association internationale pour le lutte contre le chômage puis est engagé dans la section "chômage" du BIT en 1920.

Les méthodes visant à établir les statistiques diffèrent d'un pays à l'autre, ce qui complique la mesure du problème. En 1922, le BIT définira le chômage:

le chômage est la situation du travailleur (entendant par là toute personne dont le moyen normal d'existence actuel ou recherché, est l'occupation d'un emploi soumis à un contrat de travail) qui, pouvant et voulant occuper un emploi soumis à un contrat de travail, se trouve sans travail et dans l'impossibilité, par suite de l'état du marché du travail, d'être occupé dans un tel emploi [cette définition pose l'emploi comme source de revenu à rechercher, comme travail désirable, ce qui est loin d'être neutre]
L'OIT voit trois types de remèdes:

- l'indemnisation des chômeurs
- la répartition du travail disponible
- le développement des possibilités d'emploi.

[nulle part n'est posée la question du sens et de l'intérêt de l'activité ni du salaire]

Avant la guerre, c'est surtout l'inaptitude physique à occuper un emploi et l'inadaptation qui sont visées. Mais l'enquête sur les causes du chômage prend un autre tour à partir de la crise du chômage des années 1920-1921: les experts tentent alors de lier le chômage à un contexte économique et politique. Par la suite, le BIT va étudier les cycles économiques.

[cette lecture politique et sociale des phénomènes de chômage est remise actuellement en question par une partie du corps politique et syndicale qui rend les chômeurs responsables de leur chômage, ce qui nous ramène donc la première guerre mondiale]

Pour Henri Fuss:

Le chômage (...) est un phénomène d'instabilité économique (3).

Fuss prône:
- l'indemnisation des chômeurs (mais avec des mesures visant à "prévenir la paresse sociale" telles que le placement public
- le développement des capacités économiques des chefs d'entreprise
- la répartition des travaux publics pour lisser le phénomène du chômage.

Fuss remarque que quand les prix baissent, le chômage augmente et quand les prix augmentent, le chômage diminue.

Fuss prône une coopération internationale, une organisation des échanges internationaux. Mais la maîtrise des fluctuations monétaire en 1928 n'empêche pas la crise de 1929 et son chômage de masse. L'aggravation du chômage pousse la Belgique à augmenter le taux d'indemnité versée par le fonds national de crise. L'OIT prône la régulation économique internationale mais est impuissante à la mettre en œuvre.

La crainte existe que des indemnités de chômage trop généreuses "découragent" les travailleurs de chercher de l'emploi. Albert Thomas, directeur de l'OIT dans les années trente, répond que le chômage est lié à des facteurs sociaux et économiques globaux sur lesquels le chômeur n'a pas prise.

[Nulle part n'est discuté le problème de la pertinence de l'emploi. Personne ne se demande pourquoi les ouvriers auraient de bonnes raisons de fuir l'usine et pourquoi ces raisons ne seraient pas prises en considération. On en reste au niveau de la condamnation morale ou du dédouanement économique.]

Le débat du BIT pendant l'entre deux-guerre se situe [déjà] entre le chômage comme assurance et le chômage comme assistance. Personne ne voit le chômage comme un mode de production de valeur ajoutée qui ... ne connaît pas la crise.

Les deux lectures sont piégées, en tout cas:

- si l'on considère l'économie comme facteur déterminant, le chômeur n'est pas responsable mais le chômage est une assistance alors, une œuvre caritative qui évite la misère ouvrière

- si l'on considère le chômeur comme responsable de son chômage, on s'inquiète de l'excès d'indemnité, on prône l'assurance individuelle. 

Mais c'est une fausse alternative puisque, dans les deux cas, on ne voit pas ce que permet le chômage: une production économique sans employeur.


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Les citations sont de Machiels:

(1) Conférence internationale du travail. Rapport du directeur, Genève, 1922, p. 160.

(2) La Lutte contre le chômage, Bulletin trimestriel de la section belge, juin 1924, pp. 33-34.

(3) H. Fuss, La prévention du chômage et la stabilisation économique, Bruxelles, L'Églantine, 1926, p. 135.