Délégoûté(e)

  • Définition
Ce néologisme s'utilise en Belgique francophone. Il désigne les délégués syndicaux fatigués par la servilité de leur syndicat. Ces délégués, de guerre lasse, en arrivent à abandonner progressivement (ou brutalement) leur activité syndicale.

Ils sont confrontés à l'impuissance organisée par la servilité, par la collaboration de classes du syndicat dans lequel ils œuvrent. Leur combativité, leur acuité politique ou leur attachement à la légalité se heurtent à la mollesse de leurs collègues délégués et au sabotage de leur action de leur hiérarchie syndicale.

  • Exemples
On nous rapporte de nombreux cas de "délégoûté(e)s" dans le plat pays.

Il y a, par exemple, un délégué qui s'est retrouvé peu à peu en incapacité permanente, en dépression réactionnelle. Le syndicat - dans les meilleurs termes avec la direction - l'empêchait d'effectuer son travail de représentant du personnel. Les collègues délégués mous l'isolaient, le permanent syndical sabotait son travail, stigmatisait l'intéressé et contournait la représentation syndicale pour traiter directement avec le patron. Dans un retournement d'alliance paradoxal, les membres du syndicat - permanent et collègues délégués - ont eu recours à des stratégies de harcèlement, de remarques répétées pour "désarmer" le délégué qui avait pour seule ambition de faire son travail de représentant des travailleurs.

De même, un délégué particulièrement combatif a été licencié avec l'assentiment du syndicat. Ce délégué a attaqué au tribunal du travail une décision visiblement arbitraire et a ... remporté un procès et de plantureuses indemnités. Ces indemnités lui permettent aujourd'hui de faire son travail de représentant du personnel à titre gracieux.

  • Castration syndicale
Il faut savoir que, en Belgique, les responsables syndicaux sont en de très bons termes avec les directions des boîtes d'importance. On les voit dîner ensemble, partager leurs loisirs et fréquenter les mêmes lieux de socialisation.

À un niveau plus élevé, les conflits d'intérêt se multiplient. Ce sont des mandats politiques qui chevauchent des mandats de conseil d'administration, des cabinets d'avocats qui travaillent pour le syndicat et pour la direction, etc. Ces conflits d'intérêt amènent à une violation répétée des statuts des différents syndicats par les instances dirigeantes. Ces instances ont du coup tendance à démobiliser leurs "troupes", à les occuper dans des commissions bidons, dans des manifestations sans portée politique ou sociale, etc.

À un plus haut niveau, les dirigeants syndicaux sont mariés à des représentants politiques. Parfois, c'est une même personne qui passe du syndicat au parti politique. Les dérives syndicales vers une collaboration de classe (c'est-à-dire vers la sape des intérêts des travailleurs) se nourrissent de leur déficit démocratique. Il n'y a pas (ou peu)  de contre-pouvoir dans les syndicats pour remettre la direction dans le droit chemin. Ce n'est pas la base qui contrôle les dirigeants syndicaux mais l'inverse.

  • Déficit de représentation des syndicats 
Ce copinage, ce népotisme émoussent une combativité syndicale déjà très entamée par le déficit démocratique de ces structures.

Les salariés hors emploi en CDI ne jouissent pas du droit de vote lors des élections sociales. C'est dire que les permanents et les délégués sont élus par les seuls employés à durée indéterminés. Les représentants syndicaux ne doivent s'expliquer que devant une infime minorité des travailleurs. En particulier, ils ne doivent donner aucune explication aux chômeurs, aux retraités, aux invalides et aux précaires.

Les syndicats qui sont censés représenter tous les travailleurs ne représentent donc qu'une infime frange du salariat (disons un tiers des salariés, pour être large). Ceci explique que les représentants des travailleurs dans les instances paritaires de la sécurité sociale entérinent des décisions hostiles aux chômeurs ou aux retraités sans broncher: ils ne doivent rendre de compte qu'aux seuls salariés en emploi en CDI.

Ce déficit de représentativité et cette exclusion des personnes les plus fragiles socialement du champ de la représentation syndicale se marque particulièrement au niveau des entreprises: le personnel sous-qualifié et le personnel précaire, par exemple, subissent les décisions patronales (éventuellement illégales) sans que le syndicat les protège puisqu'ils n'ont pas de poids électoral lors des élections sociales. Les travailleurs de base avec un bon statut sont alors tentés de fermer les yeux sur ces pratiques anti-salariales en échange de la préservation de leurs propres acquis sociaux.