Concession

Dans le sens de "faire des concessions dans une négociation", voir l'article concession bargaining.


Les corps politiques délèguent sous forme de pouvoir une partie de leur puissance à une entité, l'autorité publique - une monarchie, une oligarchie ou une démocratie - qui, forte du monopole de cette délégation, sera autorisée à utiliser la violence sociale déléguée sous forme de légitimité, pour affecter à son tour l'ensemble du corps politique dont elle tire sa légitimité. Selon Spinoza, le fait qu'un corps politique puisse s'affecter - par le truchement de l'autorité publique, comme la désignons ici - constitue la source du droit.

On aura compris que le droit comme auto-affectation du corps politique recouvre des notions un peu plus larges que le strict droit de nos codes civils et pénaux. La tradition, la coutume, les institutions collectives (qu'elles s'appuient sur des croyances de type religieux ou de type économique), les habitudes, les usages et les spécificités locales ou sectorielles constituent autant de variantes de ce concept de droit correspondant à autant d'époques ou de situations.

La cession d'un droit à un privé par l'autorité publique


De toute façon, l'autorité publique détentrice du monopole du droit peut céder ce monopole à des tiers.

La concession est la cession d'un droit d'usage, de lucre ou de passage par l'autorité détentrice de ce droit. Pour concéder quelque chose, il faut que ce quelque chose appartienne à celui ou celle qui concède. En ce sens, pour concéder un droit, il faut que l'autorité publique qui concède le droit en soit reconnue comme seule propriétaire légitime. Il faut donc que l'autorité qui concède le droit soit détentrice d'un monopole de légitimité. Elle peut concéder ce droit à un tiers pour une période donnée ou sine die, pour toujours, dans la mesure où le droit d'usage, de lucre et de passage est reconnu à l'autorité pour une période donnée ou pour toujours.

Les droits d'usage, de lucre et de passage concédés peuvent être concrets (comme l'exploitation des autoroutes par des entreprises privées en France) ou abstraits (comme les licences de téléphonie et de média, comme les droits de propriété intellectuelle) mais, dans tous les cas, ces droits ne peuvent être reconnus que dans la mesure où l'autorité qui les confère conserve sa légitimité et le monopole de cette légitimité aux yeux du corps politique.

Toute forme de propriété, si elle concerne l'ensemble du corps politique est une concession de l'autorité publique de ses propres droits. En ce sens, tout droit de propriété sur la production économique, sur les infrastructures communes constitue de fait une concession de l'autorité publique vers des privés. Cette concession s'accompagne nécessairement d'une utilisation de la force de l'autorité publique au profit des intérêts des privés à qui les droits ont été concédés. Si l'État cède la gestion de ses autoroute et le droit d'y prélever des péages, non seulement l'acteur privé se retrouve propriétaire de deniers commun, de ressources communes mais il peut faire appel à la puissance judiciaire et policière de l'État si ses intérêts en tant que particulier sont menacés.
1. Le droit de battre monnaie (le seigneuriage) 

On peut avoir une autorité publique qui délègue son droit de battre monnaie aux orpailleurs ou un noble qui demande un octroi, une gabelle pour donner le droit de passage ou le droit de faire telle ou telle activité.

Théoriquement, le fait de battre monnaie est ce qu'on appelle un privilège du Prince, c'est-à-dire le bénéfice de situation lié au monopole du droit de frapper monnaie dont profite l'autorité publique quelle que soit sa forme, monarchie, oligarchie ou démocratie. Ce droit régalien est un monopole de l'autorité publique reconnue mais il peut être concédé à un tiers, aux banques privées, par exemple. Ce monopole permet à l'autorité publique de financer de la puissance publique (pour le meilleur ou pour le pire, donc) mais a été battu en brèche
- par la création de l'euro qui concède ce droit à une banque centrale indépendante, sur laquelle le politique, le Prince, n'a pas prise

- par les mécanismes de création monétaires développés dans l'article monnaie (ici): comme ce sont les banques privées (et non la banque centrale, fût-elle indépendante) qui créent l'essentiel de la masse monétaire par le crédit, non seulement les privilèges du seigneuriage sont concédés à des acteurs privés mais le mode de création monétaire grève toute dépense d'une obligation de rembourser le principal ... et les intérêts


Concrètement, l'existence d'une dette publique et d'intérêts sur cette dette transforment un acteur public en intermédiaire armé entre l'ensemble du corps politique et des intérêts privés puisqu'une partie des impôts collectés sur l'activité de chacun sert à rémunérer les bénéficiaires de la concession de la création monétaire.

À l'extrême, on peut imaginer un État qui se transforme en milice privée au service des intérêts d'une caste de banquiers, barons voleurs insatiables. Mais il s'agit là de science fiction, bien sûr.

2. Services publics et concessions privées

L'ensemble des services publics privatisés ou sous-traités au privé sont des concessions puisque ce sont des biens communs que l'autorité attribue à des privés moyennant finance ou pas. De la même façon, les partenariats public-privé, les licences de téléphonie et les mutuelles complémentaires obéissent à ce schéma. L'autorité publique confère à un acteur privé le droit de lever impôts et droits publics sur un domaine précis. Mais ces droits sont, finalement financé par les usagers et/ou les contribuables puisque ce sont eux qui paient les tributs, les frais, les arrhes et les agios supplémentaires.

De la même façon si
- un fonctionnaire voit son statut précarisé, requalifié en emploi voire en infraemploi, ce bien public qu'est la création de valeur ajoutée par la fonction publique est volé, bradé et disparaît en tout ou en partie de la production commune de valeur
- les prestations des salaires socialisés par la sécurité sociale sont bradées à des intermédiaires, des propriétaires lucratifs - que ce soient des mutuelles complémentaires ou des pharmaceutiques capitalistes - ce qui nous prive de la reconnaissance de la qualification personnelle, bien public et bien commun s'il en est

- les cotisations sociales sont diminuées, compensées par des impôts ou supprimées, c'est l'ensemble de la valeur ajoutée salariale commune qui est amputée par le fait du Prince, par un abus de pouvoir d'une autorité publique,
l'autorité détentrice du monopole de la légitimité s'arroge le droit de brader, de vendre, de gaspiller le commun, ce qui nous spolie tous et chacun.

Par contre, cette spoliation constitue un abus de pouvoir manifeste - puisqu'elle compromet nos conditions de survie commune et individuelle - ce qui obère la légitimité de l'autorité en question. L'autorité reconnue légitime, une fois qu'elle a accordé une concession, devra défendre les intérêts de l'entité à laquelle elle a consenti cette concession et non plus ses intérêts propres. L'autorité reconnue, par la force et/ou par l'ascendant éthique devra user de sa force ou de son influence pour appuyer des acteurs privés, bénéficiaires de la concession.

3. Les partenariats publics-privés (PPP)

Les PPP sont un type de concession remarquable: non seulement, l'autorité publique concède le soin d'organiser telle ou telle activité à un acteur privé mais elle lui concède aussi le droit d'en tirer profit et le droit d'organiser la récolte des fonds selon des modalités qu'il lui appartient de fixer.  Le PPP met l'autorité publique de facto sous la tutelle d'intérêts privés mais, en sapant la légitimité de l'autorité publique aux yeux du corps politique, il peut, à terme, fragiliser l'ensemble de l'édifice social.

Les concessions commerciales 

 

Les concessions de l'autorité publique envers des acteurs privés ne portent pas que sur le seigneuriage, les services publics ou la création de valeur ajoutée sociale, elles s'exercent aussi sur le droit commercial. On peut évoquer la concession de TF1 qui était conditionnée à un mieux-disant culturel qui ne laisse pas d'étonner les temps de cerveau disponibles mais ce genre de concession s'applique à des champs de l'économie assez vastes.

Les concessions commerciales justifient juridiquement la transformation de toutes les propriétés communes en activités lucratives. Il peut s'agir d'eau, de gaz, d'électricité, de transports, de santé, d'éducation, d'enseignement, de recherche, de logement, d'outils de production, de culture, de police, de terre ... Il s'agit de transformer une propriété d'usage collective (le temps, la terre, les ressources ...) en octroi privé. Ce type de concession affaiblit directement le corps politique et transforme l'autorité publique en gendarme d'intérêts privés. C'est-à-dire que l'autorité publique va devoir s'opposer - pour tout ou pour partie - au corps politique qui fonde sa légitimité au profit de seigneurs de l'argent, de propriétaires lucratifs. Ce retournement de l'autorité publique peut la délégitimer et annoncer la fin de la paix civile puisque l'autorité publique se retrouve en face et non plus à côté du corps politique.

1. Les concessions professionnelles

L'ensemble des corps de métier affirme, par le truchement de leurs accords sectoriels et/ou de la loi générale, leur droit à exercer une profession et à en retirer un statut, un barème et des conditions de travail déterminées. Cette affirmation est inscrite dans la loi et encadrée par le code du travail qui, en affirmant une brèche dans le droit de propriété lucrative affirment une autre façon de créer de la valeur, concède une pratique de l'économie. Cette concession se fait sur le principe du droit et elle concerne l'ensemble du corps politique sous condition (l'ensemble des professionnels de tel secteur avec tel niveau d'ancienneté et de qualification auront tel salaire et telles conditions de travail, quelles que soient les circonstances).

En ce sens, ce type de concession ne consiste pas, pour l'autorité, à saper ses propres fondements juridiques et à en léser le corps politique mais, au contraire, à affirmer les fondements de l'ordre du droit commun, ces concessions se font en faveur du corps politique lui-même. En légitimant la source du droit, de l'autorité publique, en faisant vivre le corps politique lui-même, ces concessions de l'autorité publique au corps politique l'affirment en tant que puissance.

2. Les concessions libérales

Les professions libérales - médecin, architecte, avocat, notaire - s'exercent toujours par le truchement d'une reconnaissance de l'accès à la profession par une organisation corporatiste. Les différentes organisations corporatistes régentent l'accès aux professions et prévoient éventuellement des cas d'exclusion.

Ces organisations jouissent d'un pouvoir délégué par l'autorité publique. C'est l'autorité publique qui décide que la profession est réglementée (ou non) par la corporation et qui peut, éventuellement, contester la corporation. Alors que l'accès à l'exercice de la médecine est strictement réglementé par l'ordre des médecins, les psychothérapeutes, par exemple, exercent librement pour autant qu'ils se proclament psychothérapeutes1. C'est l'autorité publique qui a accordé une concession aux médecins, sur l'autorité de réglementer une profession, mais pas aux psychothérapeutes. L'État pèse de toute sa force, de sa légitimité et de ses capacités de répression, pour faire respecter les concessions qu'il a consenties.

Ces concessions fonctionnent pour partie comme les concessions professionnelles dans la mesure où elles contribuent à affirmer le droit commun mais elles fonctionnent comme des concessions de service public dans la mesure où elles mettent au service d'intérêts privés la puissance de l'autorité publique. En tant que concessions professionnelles, elles contribuent à affirmer la puissance du corps politique, en tant que concessions de service public, par contre, elles tendent à affaiblir cette puissance.

3. Les concessions assurantielles 

La sécurité sociale en particulier et les droits salariaux en général constituent des affirmations du droit commun. La logique du salaire socialisé, c'est la reconnaissance de la source commune du bien de tous et de chacun puisque le numéraire, comme intermédiaire de la violence sociale, est octroyé à chacun sur base du droit commun. En ce sens, l'affirmation du droit de tous par l'ouverture de droit à chacun est une affirmation de la source de l'autorité publique, de la légitimité du corps politique lui-même.

Par contre, quand le droit commun au salaire de chacun est privatisé au profit d'une logique assurantielle, il cesse d'être l'affirmation de la source de légitimité de la puissance publique, du corps politique, pour devenir son contraire: l'affirmation de la mise au service d'intérêts privés de la puissance régalienne commune, c'est-à-dire la mise en servage du corps politique et de son émanation de droit au profit de particuliers. En ce sens, l'affirmation de l'assurantiel s'articule immédiatement avec des velléités de retour à une utilisation de l'État à des fins privées, à une forme esthétisée de l'ancien régime puisque la légitimité de l'autorité publique est concédée à des entreprises lucratives qui tirent profit de cette dépossession de la propriété commune.

Pour le dire d'une formule simple, juridiquement parlant, l'assurantiel permet de dire à l'assureur: "l'État, c'est (pour) moi (et par vous)" alors que le salaire socialisé comme droit permet à l'ensemble du corps social d'où émane l'État de dire: "l'État, c'est (par et pour) nous".

4. Les concessions salariales

La fonction publique est la reconnaissance d'un statut public, d'une propriété de tous et de chacun d'une ressource commune. Si l'on reprend la dialectique du maître et de l'esclave avec l'autorité publique comme maître et le corps politique comme esclave, la nécessité de reconnaissance du maître-autorité publique le met sous la dépendance relative de l'esclave-corps social. Le fonctionnaire est l'agent au service de l'autorité publique qui permet la concrétisation et la formalisation de la reconnaissance de l'autorité publique par le corps politique.

Mais si le statut de fonctionnaire se transforme en statut d'employé, si la fonction publique est requalifiée en service public, ce n'est plus la reconnaissance de l'autorité publique par le corps politique dont il est question mais, bien plutôt, l'emploi, l'utilisation d'un particulier par l'autorité publique. C'est-à-dire que ce qui était source commune de la légitimité devient un contrôle autoritaire sur un particulier en tant qu'individu soumis à une relation de subordination sous la pression de l'aiguillon de la nécessité.

En ce sens, la requalification de la fonction publique - sans lien d'emploi ou de subordination entre le fonctionnaire et l'autorité publique - en service publique privatise les bases de la reconnaissance de l'autorité publique par le corps politique et, ce faisant, gruge le corps politique de ressources, de puissance commune.


Éthique et arbitraire du pouvoir

 

Ce qui fonde en droit et en éthique la possibilité de changer, de modifier ou de renverser ladite autorité - sauf à demeurer dans la crainte des nervis du pouvoir et de l'hégémonie des dominants, de l'idée intériorisée par les dominés que la domination subie ne peut être dépassée du fait de l'aiguillon de la nécessité et du besoin de réduire la dissonance cognitive, par exemple.

*
*     *

1 En Belgique, à l'heure où j'écris ces lignes. Mais cette profession est réglementée en France, au Québec ou en Suisse.