Liberté

  • Note

Cet article est inspiré du livre de Frédéric Lordon, La Société des affects. Nous recommandons chaudement la lecture de ce livre lui-même nourri de Spinoza, L'Éthique et Le Traité Politique.

  • La liberté patronale

Nous avons récemment été confrontés à des discours sur la liberté de travailler le dimanche ou la nuit. Cette notion de la liberté est proche de celle développée par Ayn Rand (voir ici): il s'agit de la liberté d'entreprendre, de faire des bénéfices, d'employer qui on veut, comme on veut, il s'agit de la liberté de jouir sans entrave du travail et du fruit du travail d'autrui.

Cette liberté s'accommode très bien de l'aiguillon de la nécessité subi par ceux qui doivent vendre leur force ou leur temps de travail. Cette liberté individuelle est absurde puisqu'elle s'exerce au dépend d'une autre liberté individuelle. La simple règle d'or kantienne devrait suffire à congédier ce concept de liberté: ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît.

Les libéraux les plus cohérents veulent limiter l'aiguillon de la nécessité pour redonner un sens à la liberté du travailleur. Il s'agit alors de donner un revenu de base universel famélique pour que les gens puissent avoir la liberté de vendre leur temps de travail.

  • La liberté comme limite

 La liberté est un concept dangereux à utiliser si l'on s'inscrit dans une perspective émancipatrice. Nous l'avons dit, il y a le problème de la règle d'or kantienne qui oppose d'une certaine façon le je individuel inscrit dans la 'liberté' et la société forcément contraignante. Mais la liberté doit aussi être jugée à l'aune des nécessités (le fameux aiguillon de l'emploi) et des conditionnements (que l'on songe à l'habitus, aux goûts culturels déterminés par l'origine sociale).

Pour dépasser le blocage politique, la liberté peut être remplacée par une autre vision des choses que nous proposent Lordon et Spinoza.

L'être vivant a une énergie vitale, une volonté d'exister brute, c'est ce que Spinoza nomme le conatus. Le conatus s'organise en fonction des rencontres, du contexte, de la détermination de l'être qui en est porteur.

Par rapport à ce conatus, les pulsions s'organisent en désirs, en joie et en tristesse. Le désir porte sur un autre, il est la manifestation du conatus vital. La joie est l'affect, l'élément rencontré, qui porte l'être à son propre épanouissement, qui cultive son conatus, la tristesse est l'affect, l'élément rencontré, qui nuit au conatus.

En regardant les choses sous cet angle, on peut voir des envies, des désirs tristes ou joyeux, on peut comprendre les désirs manipulés pour ce qu'ils sont: des amis joyeux de la force de vie ou des ennemis triste de la force de vie des intéressés.

On peut aimer son emploi alors que cet emploi nous nuit, on peut prendre pour siens les discours patronaux de soumission - non par sottise mais par contexte, par désir triste, par pulsion ennemie de ses propres intérêts.

  • La société des affects
La société dans son entier est traversée de ces désirs (tristes ou joyeux). Toute institution (et l'emploi est une institution) est le fruit d'un rapport de force au sein d'une multiplicité de désirs. L'enjeu, pour nous, est de faire éclore un contre désir, un désir de travail sans emploi, un désir social qui emporte l'ancien désir, celui de l'emploi.

Il ne nous faut pas sous-estimer le désir (triste) d'emploi. De manière positive, l'emploi permet les plaisirs de la consommation, du confort. À nous de voir ce qui est triste dans cette consommation, dans ce confort; à nous de voir comment accéder à ce qui est joyeux dans cette consommation et ce confort sans l'emploi. De manière négative, l'aiguillon de la faim, de la misère, de la nécessité pousse les conatus individuels à se vendre pour survivre. À ce niveau-là, il nous faut explorer d'autres pistes. Fort heureusement, elles sont légion.

Mais, de toute façon, c'est au niveau des désirs sociaux que se situe la bataille. On n'imagine pas un triomphe solitaire: la solitude serait reprise par son besoin de social, on n'imagine pas un conatus qui s'isole. C'est pourquoi, la plateforme contre l'emploi se bat au niveau des désirs, pour que d'autres désirs sociaux s'agrègent en société ... mais, c'est une autre histoire.