Égalité

  • Définition

En mathématique, l'égalité est l'identité: deux expressions sont dites égales si leurs valeurs sont les mêmes, si elles sont interchangeables. En sciences, l'égalité va désigner un même poids, un même volume, une même masse, une même taille, etc.

En droit, des individus égaux ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Nous allons tenter de comprendre l'égalité d'un point de vue anti-employiste entre ces deux définitions (identité de propriété et égalité juridique d'êtres différents).

Par égalité, nous ne parlerons pas d'atténuer des différences personnelles ou culturelles, nous explorerons l'égalité en droit, l'égalité du droit à vivre et à vivre dans des conditions de vie différentes mais égales.

  • Égalité juridique
 La notion d'égalité juridique implique que les personnes égales ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Cette notion est très riche dans l'économie capitaliste car l'exploitation capitaliste de la force de travail contrainte par l'aiguillon de la nécessité se fait entre sujets égaux en droit. Comment une inégalité économique peut-elle s'asseoir sur une égalité juridique?

Ceci s'explique facilement par le fait que certains droits universels sont accessibles en théorie à tous mais, en pratique, demeurent l'apanage d'une minorité qui en jouit à l'exclusion de toutes les autres personnes. Ces droits universels deviennent alors des privilèges.

La propriété lucrative est accessible à tous, en théorie, mais, dans sa pratique, la plupart des gens ne jouissent pas de cette propriété (voir l'enclosure). Ce type de propriété - en théorie fondée sur une égalité en droit - fonde une inégalité de fait puisque tout le monde n'a pas accès à ce droit.

Ce droit-privilège organise l'activité, encadre l'économie et la gestion des outils productifs: les propriétaires lucratifs ont l'exclusivité de la gestion du travail alors que les gens qui travaillent en sont exclus. L'égalité juridique de la propriété lucrative fonde une inégalité juridique: si l'usine m'appartient, je peux décider ce qui s'y fait; si j'y travaille, je dois me conformer aux décisions de celui à qui elle m'appartient.

La propriété lucrative de sujets juridiques égaux en droit fonde une inégalité de facto entre les prolétaires et les propriétaires. Les prolétaires ne décident pas alors qu'ils subissent la décision, alors qu'ils travaillent pour la mettre en application (de même, dans une moindre mesure, les riverains ou les pouvoirs publics); les propriétaires lucratifs décident alors qu'ils ne travaillent pas pour mettre en œuvre leur décision et ne la subissent pas.
 
  • Égalité sociale

La propriété d'usage n'est pas spécifiquement fondée en droit alors qu'elle permettrait une égalité de facto plus en phase avec l'égalité en droit. Il s'agit alors non pas de retirer quelque fruit du titre de propriété mais de pouvoir user de manière privative d'un bien sans aucun lucre. Ce type de propriété permet de poser la question du sujet juridique, elle permet de se poser la question de la légitimité (philosophique), de la pertinence du sujet propriétaire.

Image extraite du Jouet, Veber, 1976.
Les sociétés par action ou les compagnies privées bénéficient d'un statut juridique de personne morale qui leur confère pour ainsi dire les mêmes droits qu'une personne physique. Mais ces droits égaux en théorie construisent des inégalités de fait. Les compagnies

- ne peuvent être interpellées, emprisonnées (ou torturées ou tuées)
- ne sont que faiblement responsables juridiquement des activités qu'elles mènent
- servent de paravent juridique à des actionnaires inattaquables.

Les administrateurs et l'AG des actionnaires sont néanmoins en théorie - mais en théorie seulement - responsables pénalement et civilement des dégâts et délits occasionnés par l'entreprise - c'est d'ailleurs sur cette base-là que les travailleurs ont obtenu la subordination qui les dédouanait de toute responsabilité pour le travail en emploi.

Dans une propriété d'usage à fonder juridiquement, les propriétaires de l'usine pourraient aussi bien être celles et ceux qui la font tourner, les riverains qui en subissent les nuisances, les pouvoirs publics impliqués dans son activité, les clients ou les fournisseurs. Le sujet juridique égal devient alors pertinent par rapport à la liberté des acteurs, par rapport à leurs intérêts divergents: ceux qui décident sont ceux qui vont travailler pour mettre la décision en œuvre ou ceux qui vont en supporter les conséquences.

Une propriété d'usage redéfinit la prise de risque, la notion de responsabilité juridique. Quand les risques liés à l'activité économique engagent des collectifs riverains, ils doivent aussi être impliqués dans les décisions relatives à ces risques. De manière plus générale, les sujets impliqués dans le risque doivent être solidaires des conséquences des accidents industriels et partant, en fondant leur participation à la propriété d'usage sur cette solidarité, doivent être impliqués dans la décision. Si une usine à papier risque d'endommager les cours d'eau à l'échelle locale, les pouvoirs publics qui seraient obligés de réagir dans cette éventualité doivent être impliqués dans les décisions relatives à cette usine et adapter leurs protocoles d'urgence, leurs équipements à ces éventualités.

Le sujet-propriétaire d'usage pose aussi la question de la coresponsabilité à un niveau régional, national ou supra-national. La propriété d'usage permet de mutualiser les risques, de prendre ensemble, solidairement, à l'échelle idoine, les responsabilités, d'assurer les risques de l'activité et partant d'être impliqué dans sa gestion. Cette logique se distingue de l'activité d'assurance privée lucrative par la notion de coresponsabilité des acteurs impliqués, égaux de jure et de facto.

  • Égalité économique

L'égalité en droit construit, nous l'avons vu, une profonde inégalité de fait. De cette profonde inégalité induite par la propriété lucrative découle une inégalité de condition d'existence: 67 personnes aussi riches que la moitié de l'humanité. La propriété lucrative est le droit de s'accaparer le fruit du travail d'autrui (et, pour le travailleur, la contrainte d'accepter cette dépossession), elle permet, dans le long terme, une accumulation infinie de ceux qui possèdent. La propriété lucrative paye ceux qui ont et met à l'amende ceux qui n'ont pas ce qui, au fil des années, des générations, aboutit forcément à une société profondément polarisée.

La polarisation extrême de l'économie met en danger la viabilité du système économique dans son ensemble (voir ici), elle en obère la productivité et l'efficacité.

L'inégalité économique induite par le système de la propriété lucrative stratifie la société en couches étanches entre elles, couches inégales quant à leurs conditions de vie (les uns meurent de faim et travaillent dur, les autres travaillent peu et vivent dans un luxe effréné), quant à leurs perspectives d'avenir et quant à leur poids politique dans la société.

  • Égalité des chances

Pour vendre cette société d'inégaux de fait, d'égaux en droit, cette société de la propriété lucrative, de l'appropriation légitime du fruit du travail d'autrui, certains discours se font les relais de cache-sexe, de concepts oiseux propres à justifier l'inégalité criante.

L'égalité des chances en constitue l'archétype. L'égalité des chances, c'est l'affirmation que le jeu est juste, qu'il ne faut pas changer de jeu ou de règles du jeu mais qu'il suffit que, au départ, tous les joueurs aient la même chance d'y arriver.

Cette logique délétère légitime le jeu lui-même, à savoir ici, la propriété lucrative, l'inégalité de fait qu'elle induit.

L'égalité des chances sert de chiffon rouge qui distrait les travailleurs, les travailleuses de l'inégalité principale, l'inégalité entre les travailleurs et les propriétaires lucratifs. Pour les occuper d'autres choses que de ce scandale permanent de la contrainte de se vendre à un propriétaire animé par le lucre, on leur parlera d'égalité des sexes, d'égalité entre les homos et les hétéros, d'antiracisme, etc. Pour légitime qu'elles soient, ces luttes servent de paravent, de distraction à la lutte contre l'ennemi principal qui nous empoisonne nos vies à toutes et à tous, aux LGBT comme aux lefebvristes: les institutions capitalistes de l'emploi.

L'égalité entre les hommes et les femmes, entre les homos et les hétéros, ne peut se développer que sur la base des salaires socialisés, liés à la qualification. La vente de la force de travail dans l'emploi est le lieu privilégié de la discrimination. L'employeur aura d'ailleurs toujours beau jeu d'évoquer les desiderata des clients dans les secteurs de services, il est de toute façon seul fondé à attribuer la qualification du poste à qui il veut, dans l'arbitraire le plus complet.

Par ailleurs, une fois l'égalité des chances acquise, comme le jeu est accessible à tous, comme on en a travaillé l'égalité des chances, cela rend ce jeu d'autant plus légitime, cela le rend peu discutable alors que ce qui fonde le jeu en question, la propriété lucrative, tend inexorablement à concentrer les richesses non aux plus méritants mais à ceux qui les détiennent déjà. Si, moralement, les thuriféraires de l'ordre libéral parviennent à expliquer le système, économiquement, son inanité a déjà été démontrée depuis le XIXe et l'est depuis en permanence par les nombreuses crises qui ponctuent l'accumulation de capital.