Recrutement

  • Ouverture

Le marché aux esclaves a été remplacé par le marché de l'emploi. Tout y est beaucoup plus policé, plus propre. Mais, alors que ce sont les vendeurs d'esclaves qui devaient assurer la commercialisation de leurs lots, sous le diktat de l'emploi, ce sont les esclaves eux-mêmes qui embellissent les produits-esclaves-employés à vendre.

Bien sûr, on s'habille, on fignole les détails, on s'arrange, on pratique la langue de bois de la domination sociopathique. Il s'agit de convaincre le client-employeur, acheteur de chair humaine, de temps humain, que le produit-employé est à la hauteur de ses désirs.

L'employeur est donc bien demandeur de chair humaine, l'employé est offreur de chair humaine. Le marché de l'emploi organise l'activité humaine de manière liberticide, anti-humaniste et cruelle.

Le jeu est particulièrement pernicieux parce que l'employé est tenaillé par l'aiguillon de la nécessité alors que l'employeur cherche simplement à conserver, maintenir et augmenter ses marges.

  • Techniques de vente au détail

Le vendeur-employé doit bien présenter son produit à vendre. Il doit rendre sa présentation impeccable du point de vue de l'employeur et doit anticiper ses attentes quant à

- la qualification correspondant au poste

- la soumission aux objectifs de l'employeur

- la capacité à s'adapter aux changements d'objectifs de l'employeur

- le "savoir-être", la capacité de conformation aux exigences culturelles de l'employeur. S'il lui faut un "copain cool", il s'agit de se montrer détendu; s'il lui faut un techniciens méticuleux, il faut que l'employé prenne ses responsabilités, etc.

- le dévouement de la marchandise humaine doit être sans limite. Il doit se montrer un objet attaché à son propriétaire et ceci alors même que l'acquéreur-employeur ne montre, lui, aucun attachement à son jouet. L'employeur est un conseil d'administration qui gère un collectif de travail pour maximiser le taux de profit des propriétaires lucratifs. Il ne peut en aucun cas s'attacher, "ressentir", "aimer" une marchandise-employé qu'il lourdera sans aucun état d'âme s'il le peut ou s'il le doit pour préserver ses marges.


  • Techniques d'achat en gros

D'avance, nous prions nos lecteurs d'excuser la dureté du texte qui suit. Nous entrons dans l'univers sordide des marchands de chair humaine. Reportage via dans le cœur de la barbarie: les employés ne sont que de vulgaires marchandises qu'il s'agit de choisir au mieux - comme on veillait à regarder la dentition des chevaux que l'on achetait.

Nous rappelons que le marché de l'emploi est maintenu par l'aiguillon de la nécessité, par la propriété lucrative, nous rappelons que l'emploi et le chômage sont deux faces de la même pièce, celle de la qualification du poste aux mains de l'employeur.

Alors, pour suivre l'article de BBC (ici, en anglais) les recruteurs ont mis au point des stratégies pour choisir les meilleures marchandises-employés. En résumé, pour trouver la bonne marchandise, les marchands d'esclaves ont recours

- aux jeux en ligne pour révéler leur inconscient, leur personnalité

- à l'analyse de base de données statistiques pour prédire l'évolution professionnelle des candidats

- à l'espionnage des réseaux sociaux

- au bon vieux "relationnel" de l'entretien d'embauche

Extrait et traduction fidèle de l'article (humaniste sensible, s'abstenir).
Près de la moitié des marchandises-employés s'avère être des "ratés" dans les dix-huit mois selon l'article [en anglais 'dud'!]. Les clients-recruteurs ne sont pas embêtés par les compétences de leur marchandise-employé mais par leur personnalité, par leur  inadéquation avec la culture d'entreprise.

Les employeurs ressortent des analyses de données à grande échelle et d'autres méthodes pour sécuriser le processus d'embauche et de licenciement et le rendre plus "efficace" et "scientifique" [je n'invente rien: "scientific" et "effective"].

Alors que la toile a facilité le travail des chasseurs de tête, de nombreuses entreprises ont recours à l'observation automatique des mots-clés pour trouver des candidats "convenables" [des marchandises correspondant aux attentes du client-roi-employeur, un peu comme les standards, les calibrages pour les légumes].

L'entreprise de recrutement technologique Electronic Innsight ne regarde même pas les compétences ou l'expérience professionnelle quand elle analyse le CV pour le compte de leurs clients.

Les chasseurs de tête affirment que les jeux sont davantage révélateurs qu'un CV traditionnel ou qu'une lettre de motivation.

"Nous regardons simplement ce que les gens écrivent et comment ils structurent leurs phrases" dit Marc Mapes, le responsable en chef de l'innovation de la compagnie.
Ces algorithmes analysent les structures du langage pour révéler la personnalité et les attitudes du candidat et les comparent alors au profil culturel de l'entreprise [il faut que les esclaves soient conformes aux habitudes du maître].

"Près de 84% des gens qui sont licenciés le sont du fait qu'ils ne correspondent pas à la demande culturelle, pas parce qu'ils manquent de compétence" soutient-il.

Des entreprises comme la start-up de la Silicone Valley Knack sont même en train de développer des jeux pour évaluer la conformité des candidats au job. Alors que les postulants jouent un jeu en ligne, un jeu conçu pour révéler leur personnalité, leur maturité émotionnelle, leur capacité à résoudre des problèmes, des centaines d'échantillons d'information sont rassemblés et analysés par des spécialistes des données.

Par exemple, un jeu, Wasabi Waiter, fait servir des clients dans un restaurant. Il faut deviner leur humeur et leurs désirs. Chaque décision, chaque choix du joueur raconte une histoire, souvent inconsciente. La manière de jouer révèle notre vraie personnalité selon les arguments de l'entreprise.
Paul Finch, le directeur des ressources humaines de Konetic, une entreprise de recrutement en ligne, déclare "la mise en jeu a définitivement fait son entrée". "Les jeux disent si vous prenez des risques, si vous innovez et ils répondent à la culture des plus jeunes".

Mais, pour beaucoup de recruteurs, les tests de personnalité innovants sont des suppléments pas des substituts des analyses de données macro. 

L'analyse des données historiques de dizaines de millions de candidats à des postes, que ces candidats soient couronnés de succès ou non, aide les employeurs à prédire quels nouveaux candidats risquent d'être les meilleurs en comparant la carrière, les personnalités et les qualifications des employés antérieurs.

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"On peut aussi dresser une carte des carrières typiques en se basant sur les carrières des autres candidats, ce qui nous rend plus efficace et plus aptes à orienter les candidats dans leurs ambitions de carrière", dit-il. Ben Hut, le patron de Talent Party, un site anglo-australien qui prétend devenir "le Google de la recherche d'emploi", concède que la science des bases de donnée épargne beaucoup de temps et d'argent aux recruteurs.
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Outre l'analyse des données historiques, les analystes ont à leur disposition les médias sociaux, source de données en temps réel.

Nos blogues, nos sites internet, nos comptes Twitter et LinkedIn révèlent autant sinon plus de notre personnalités que des CV à moitié fictifs.

"L'époque où l'on séparait les profils professionnel et personnel est terminée", avertit Geoff Smith d'Experia.

"Les médias sociaux sont une plateforme extraordinaire pour les individus, pour qu'ils puissent montrer leur expertise, leur expérience et leur enthousiasme dans leur champ de compétence. Cependant, les candidats doivent être conscients de la réputation électronique qu'ils construisent, des traces de données qu'ils laissent derrière eux."

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Les employeurs espionnent ce que dit votre profil de média social à votre sujet.

"Des outils en ligne tels que Sprout Social and Hootsuite permettent aux recruteurs de garder une oreille au sol pour voir ce qu'il se passe chez leurs clients, chez leurs candidats et chez leur partenaires" dit M. Smith.

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Mais la technologie ne peut pas nous emmener si loin affirme Jerry Collier, directeur de l'innovation à Alexander Mann Solutions, une entreprise de chercheurs de têtes pour des entreprises telles que HSBC, Rolls-Royce ou Vodafone.
"Le recrutement est une affaire de relation", dit-il. "La technologie n'est là que pour rendre le processus plus simple et plus efficace. Si vous voulez de la diversité et un poste de travail plus riche, plus créatif, il vous faut des gens avec des profils et des expériences différents. Laissez cela à un algorithme et vous aurez sans doute systématiquement le même genre de personne."
Ah, on est sauvés, un acheteur de chevaux pense à leur bien-être ... pour qu'ils soient plus productifs, bien sûr.