Femmes et caisses ouvrières au XIXe siècle (Degavre)

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Note de lecture:


Florence Degavre, Femmes et caisses ouvrières au XIXe siècle, Revue Démocratie, 2 mai 2013, en ligne ici.

Sous la pression du succès et de la combativité des caisses de grève, l'État dominé par la bourgeoisie subventionne les caisses de secours qui n'interviennent pas dans les grèves. L'embryon de la sécurité sociale a donc été créé sous la pression de l'existence de caisses de lutte, sous la menace de leur succès.

Résumé

Les mutuelles sont nées de la nécessité de faire face à la perte de revenu suite à un accident de travail, à une maladie ou un décès.

Dans la seconde moitié du XIXe, il y a trois types de caisses.

- les caisses ouvrières de secours mutuel (basées sur le métier)
cotisation et indemnité forfaitaires (les salaires d'un même établissement sont à peu près identiques). En cas de maladie, l'allocation est versée dès le troisième jour pendant trois mois maximum. Certaines caisses paient l'enterrement. Certaines caisses sont des caisses de résistance qui alimentent des embryons de syndicat.
Les femmes fondent leurs propres mutuelles (en dépit des obstacles: nécessité de l'autorisation du mari et salaires moins élevés que les hommes) ce qui permet la prise en compte de leurs besoins spécifiques.

Ces mutuelles de femmes couvrent généralement les frais médicaux et pharmaceutiques liés à la maladie, une indemnité journalière, le service funéraire, parfois une prime de naissance et, à partir de 1889, une indemnité d’accouchement. En effet, les caisses masculines ne prennent pas en charge le repos de quatre semaines après l’accouchement, prévu par la loi de 1889 sur le travail des femmes et des enfants. Cela implique que la femme est seule à assumer le coût lié à la naissance en perdant un douzième de sa rémunération annuelle. C’est aussi un des motifs qui décide certainement les femmes à fonder leurs propres caisses.
L'État ne voit pas nécessairement l'existence de ces caisses car elles impliquent que les ouvriers se prennent en main mais il souhaite

- pousser ces caisses vers une logique de capitalisation individuelle
- éviter que ces caisses ne servent de caisses de grève ou de lutte. Pour ce faire, les subventions de l'État aux caisses de prévoyances lui permettent de contrôler ces caisses afin d'affaiblir les caisses de lutte qui leur font concurrence.
En 1884, le gouvernement catholique octroie des subsides aux mutuelles qui accèdent à la reconnaissance, sous des conditions moins contraignantes qu’en 1851. En 1891, le gouvernement décide d’offrir des primes aux mutuelles qui affilient leurs membres à la Caisse de retraite. En 1894, il permet aux femmes de s’affilier aux mutuelles, sauf opposition du mari. Elles ne doivent donc plus démontrer l’autorisation maritale.

- les caisses de prévoyance patronale (basées sur l'entreprise)
La cotisation aux caisses patronales se fait généralement sur une base proportionnelle, le patron prélevant directement le montant sur les salaires. Contrôlées par les patrons, ces caisses interviennent pour accorder une pension en cas d’accidents du travail aux ouvriers ou, en cas de décès, à la veuve et l’orphelin. Selon Guy Vanthemsche, elles ont peu de succès. 
Les patrons organisent aussi des caisses philanthropes paternalistes. Ces caisses indemnisent les veuves, par exemple mais leur fonctionnement est fort différent des caisses ouvrières puisqu'il ne s'agit jamais de caisses de résistance. Les caisses bourgeoises philanthropes bénéficient du soutien de la commune parfois et interviennent en cas de catastrophe.

- les caisses de prévoyance nationale (basée sur le métier).

Les autorités publiques s'inquiètent de l'efficacité et du succès des caisses ouvrières. Elles poussent les ouvriers à la prévoyance par l'épargne en repoussant, par contre, les questions de l'interdiction du travail des enfants ou de l'augmentation des salaires. Les ouvriers doivent se moraliser en cotisant auprès de fonds de pension avant l'heure.

Dès 1848, deux projets de loi sont formulés à la Chambre, relatifs à la création d’une Caisse générale d’épargne et d’une Caisse de retraite (des banques privées proposaient déjà la possibilité de dépôts) qui aboutissent en 1865. L’État y participe financièrement, pour chaque franc versé par l’ouvrier. Elles reposent sur l’épargne individuelle et sont le cheval de Troie de l’État pour tenter d’imposer le système de la capitalisation.

1. H. Wouters, Geschiedenis der Arbeidersbeweging. Documenten 1853-1865, Éditions Nauwelaerts, Leuven, 1966, p. 145.
2. B. S. Chlepner, Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Institut de sociologie Solvay, ULB, Bruxelles, 1958, p. 41.
3. N. Considerant, Du travail des enfants dans les manufactures et dans les ateliers de la petite industrie, Bruxelles-Leipzig, 1863, pp. 6-7, cité par D. De Weerdt, En de vrouwen? Vrouw, vrouwenbeweging en feminisme in Belgïe (1830-1960), Masereelfonds, Gent, 1980, p. 51.
4. P. Penn Hilden, Women, work and politics, Belgium 1830-1914, Clarendon Press Oxford, New York, 1993, p. 78 et p. 97.