Les manuscrits de Karl Marx

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Karl Marx, Manuscrits de 1844, Flammarion, 1996, collection GF.

Notes de lecture

  • Premier manuscrit

1. Le salaire

Le salaire est déterminé par la demande en hommes (p. 56).  

Si l'offre est plus grande que la demande, une partie des ouvriers tombe dans la mendicité ou la famine. L'existence de l'ouvrier est donc réduite au même état que toute autre marchandise. L'ouvrier est devenu une marchandise et c'est pour lui une chance quand il arrive à se faire embaucher. (p. 56)

Le travail est donc une marchandise particulière entre des contractants inégaux. Il y va de la survie de l'ouvrier-marchandise et du caprice de l'employeur-client.

Mais, sur le temps long, la concurrence entre les employeurs-client s'effrite ce qui condamne les marchandises-ouvriers à la misère.

Dans une société de plus en plus prospère, seuls les plus riches peuvent vivre des intérêts rapportés par l'argent. Tous les autres doivent investir leur capital ou le placer dans le commerce. De ce fait, la concurrence entre les capitaux s'accroît, la concentration des capitaux s'accentue, les grands capitalistes ruinent les petits (...). Le nombre des grands capitalistes ayant diminué, la concurrence dans la recherche des ouvriers n'existe pratiquement plus, et le nombre d'ouvriers ayant augmenté [du fait du déclassement des petits capitalistes], la concurrence entre eux est devenue d'autant plus grande, plus contraire à la nature et plus violente. (p. 59)

La hausse de salaire n'est pas la panacée:

La hausse du salaire suscite chez l'ouvrier la soif d'enrichissement du capitaliste, mais il ne peut la satisfaire qu'en sacrifiant son esprit et son corps. L'augmentation du salaire suppose l'accumulation du capital et la provoque; elle oppose donc le produit du travail et l'ouvrier. (pp. 59-60)

Or l'accumulation de capital augmente les capacités des outils de production, elle divise le travail en le mécanisant dans une course à la productivité. En augmentant la productivité, le système économique diminue le besoin de main-d’œuvre à production égale. Comme le besoin de main-d’œuvre diminue, la concurrence se fait acharnée et les salaires tendent ... vers zéro, ce qui provoque une crise de surproduction: il n'y a plus de salariés pour acheter les marchandises produites en nombre. Les innovations technologiques qui devraient libérer l'homme du fardeau des travaux pénibles le condamnent à la misère dans le cadre de la concurrence industrielle.

De même, la division du travail limite l'horizon de l'ouvrier et accroît sa dépendance, tout comme elle entraîne la concurrence non seulement des hommes, mais aussi des machines. Comme l'ouvrier est abaissé au rang de machine, la machine lui fait concurrence. Enfin, l'accumulation du capital accroît le potentiel industriel, le nombre d'ouvriers, tout comme la même quantité de travail industriel produit, du fait de cette accumulation, une plus grande quantité d'ouvrage, laquelle se transforme en surproduction et a pour résultat final soit de priver de leur emploi une grande partie des ouvriers, soit de réduire leur salaire au minimum le plus misérable. (p. 60)

Pour autant, on aurait tort de réduire les ouvriers aux seuls hommes. À l'époque, selon une citation (Wilhelm Schulz, Mouvement de la production, Comptoir littéraire, Zurich, 1843, pp. 45 sqq.)

"Les filatures anglaises emploient seulement 158.818 hommes contre 196.818 femmes. Pour 100 ouvriers dans les fabriques de cotons du comté de Lancaster, on trouve 103 ouvrières, et, en Écosse, on en trouve même 209 (...). Dans les fabriques de cotons d'Amérique du Nord, il n'y avait en 1833, pas moins de 38.927 femmes employées pour 18.593 hommes."

2. La rente

La rente organise le travail:
Les opérations les plus importantes du travail sont réglées d'après les plans et les spéculations de ceux qui utilisent les capitaux; et le but qu'ils se fixent dans tous ces plans, c'est le profit. (p. 76)
Mais cette rente façonne aussi les pays, les gens.

Ricardo dans son livre (La rente foncière): les nations ne sont que des ateliers de production. L'homme est une machine à consommer et à produire ; la vie humaine est un capital; les lois économiques régissent aveuglément le monde. (p. 85)

3. Le travail aliéné

Nous avons parlé de l'homo laborans. Loi de cet être de désir en train d'humaniser la nature, le travailleur en emploi ressemble plus à l'animal laborans.

L'objet que le travail [en emploi] produit, son produit, se dresse devant [le travailleur] comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s'est fixé, matérialisé dans un objet, il est l'objectivation du travail. La réalisation du travail est son objectivation. Dans le monde [du capitalisme et de ses théoriciens], cette réalisation du travail apparaît pour la perte pour l'ouvrier de sa réalité, l'objectivation comme la perte de l'objet ou l'asservissement à celui-ci, l'appropriation comme l'aliénation, le dessaisissement. 
La réalisation du travail se révèle être à tel point une perte de réalité que l'ouvrier perd sa réalité jusqu'à en mourir de faim. L'objectivation se révèle à tel point être la perte de l'objet que l'ouvrier est spolié non seulement des objets les plus indispensables à la vie, mais encore des objets du travail. Oui, le travail lui-même devient un objet dont il ne peut s'emparer qu'en faisant le plus grand effort et avec les interruptions les plus irrégulières. (p.109)
Le travail qui doit libérer, humaniser la nature devient un vecteur d'aliénation. De sorte que la source de la volonté, de la puissance et de la liberté en devient la négation.

[L'aliénation du travail consiste] dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, l'ouvrier ne s'affirme pas, mais se nie, ne se sent pas à l'aise, mais malheureux; il n'y déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l'ouvrier ne se sent lui-même qu'en dehors du travail et dans le travail, il se sent extérieur à lui-même. (p. 112)

(...)

On en vient donc à ce résultat que l'homme (l'ouvrier) se sent agir librement seulement dans ses fonctions animales: manger, boire et procréer, ou encore, tout au plus, dans le choix de sa maison, de son habillement, etc; en revanche, il se sent animal dans ses fonctions proprement humaines. Ce qui est animal devient humain, et ce qui est humain devient animal.

  • Troisième manuscrit

1. Propriété privée et communisme

Les liens entre le social et l'individuel sont constructifs pour Marx. Plus de cent ans avant Marcuse, plus de 150 ans avant Généreux, Marx affirme le caractère social de l'individu et met en cause l'opposition entre les intérêts de l'individu et ceux de la société.

Il faut surtout éviter de fixer la "société" comme une abstraction en face de l'individu. L'individu est l'être social. La manifestation de sa vie - même si elle n'apparaît pas sous la forme immédiate d'une manifestation collective de la vie, accomplie avec d'autres et en même temps qu'eux - est donc une manifestation et donc une affirmation de la vie sociale. La vie individuelle et la vie générique de l'homme ne sont pas différentes, bien que le mode d'existence de la vie individuelle soit nécessairement un mode plus particulier ou plus général de la vie générique ou que la vie générique soit une vie individuelle plus particulière ou plus générale.
En tant que conscience générique, l'homme affirme sa vie sociale réelle et ne fait que répéter dans la pensée son existence réelle; de même qu'inversement, l'être générique s'affirme dans la conscience générique et qu'il est pour soi, dans son universalité, en tant qu'être pensant. (p. 147)