Lean

Labor Notes enquête sur une usine automobile dans le Tennessee (États-Unis). C'est une usine Volkswagen qui essaie de faire plus Toyota que Toyota: il faut maximiser la productivité à l'usine de Chattanooga au prix d'un management des plus brutaux.

Extrait, résumé et traduction de l'article ici (en anglais). Nous avons repris les termes managériaux en anglais entre crochet parce que c'est généralement la forme sous laquelle les managers du monde entier les utilisent.
Impitoyable efficacité

Un des cœurs de stratégie lean de VW, c'est la "flexibilité de la force de travail": la pression compétitive des intérimaires ou des temps partiels.

À l'usine de Chattanooga, les employés en CDI travaillent à côté des "temporaires" dont certains travaillent là depuis des années. Atomisés les uns contre les autres, les deux groupes craignent de s'exprimer.

Les travailleurs sont quotidiennement poussés dans leurs limites physiques et psychologiques. Du point de vue du management, cela maximise la productivité.

"Chaque employé bouge son cul, est blessé et travaille dans la douleur parce qu'il ne veut pas que son boulot soit pris par un intérimaire", dit Amanda. "Le message qui nous est envoyé est clair: nous sommes tous faciles à remplacer."

C'est un résumé de la production lean: efficacité impitoyable, produite par un système d'efficacité impitoyable. Les ouvriers sont délibérément poussés à bout par la combinaison de pression compétitive, d'entraînement inapproprié, du stress permanent et des horaires variables - de telle sorte que le maillon faible puisse être identifié et éliminé.

Un autre élément essentiel est le "modèle d'équipe" [team model]. Les ouvriers sont regroupés dans des équipes de six et on leur demande de gérer leur poste de travail pour améliorer leur productivité. L'aspect "équipe" encourage la pression entre pairs.

C'est un cercle sans fin. Si vous tombez en dépression à cause du stress, vous êtes viré - mais si personne dans votre équipe ne tombe malade, alors, la charge de l'équipe doit être augmentée en ôtant un membre de l'équipe, par exemple.


Toute la pression pour stimuler la production diminue la sécurité et la formation. La plupart des formations sur place tombent de manière informelle sur les chefs d'équipe ou sur d'autre travailleurs à la chaîne déjà débordés par leur propre charge de travail.


"Le travail à la chaîne est très compliqué, tout en nuances", dit un chef d'équipe VW avec qui j'ai parlé. "Il faut le faire pour comprendre." Quand un ouvrier qui n'a pas été convenablement formé est harcelé pour tenir la cadence, les résultats peuvent être catastrophiques.


Selon Amanda, c'est ce qui est arrivé à un ami sur sa chaîne d'assemblage qui a eu deux doigts arrachés alors qu'il installait une ceinture de sécurité avec un pistolet de serrage.

Stress sur le corps

Le danger est aggravé par la fatigue chronique du fait des pauses, des horaires par rotation hebdomadaires. Les ouvriers à la chaîne de Chattanooga travaille par pauses de dix heures, quatre jours par semaine: de 6h du matin à 16h45 une semaine puis de 18h à 4h45 du matin la semaine suivante. Beaucoup de travailleur m'ont dit que c'était le plus gros problème de travail dans l'usine.

"Ça a été une des principales raison de mon départ", dit Lauren Feinauer. "J'ai passé trois ans à être fatigué. Sans jamais me sentir reposé. J'avais des problèmes de santé mentale, du surpoids, des problèmes digestifs." Les ouvriers racontent devoir prendre des somnifères régulièrement et ne jamais sentir leur corps avoir récupéré du stress.

Mais le taux d'accident qui en résulte est difficile à déterminer parce que VW a sa propre clinique et sa propre équipe d'urgence médiale dans l'usine. Alors que la compagnie fait valoir l'accès aux soins médicaux à domicile comme une avantage de l'emploi, certains travailleurs y voient un autre niveau de contrôle.

Les ouvriers doivent déclarer leur niveau de douleur à chaque pause, quand ils entrent et quand ils sortent de l'usine. Les médecins appointés se baladent dans les chaînes d'assemblage et interrogent les employés sur les douleurs et les blessures de l'emploi.

"Ils sont à tous les coups là pour contrôler la situation", dit Feinauer. "Je sentais dès que je déclarais une blessure et qu'ils venaient pour me parler, qu'ils essayaient de trouver dans mon passé une façon de me faire porter le chapeau. Ils posaient autant de questions sur les boulots que j'avais exercé dans le passé que sur ce que je faisais alors sur la chaîne."

Plan d'ensemble des ateliers 
La pression ne peut qu'augmenter puisque les travailleurs de VW sont soumis à une forme de production lean de plus en plus mondialisée.
En juillet, la compagnie a annoncé un projet de développer la production d'un nouveau véhicule utilitaire de sport pour le marché nord-américain à Chattanooga. Avec l'extension de la production, on introduira le kit modulaire transverse ou "plateforme MQB" [MQB platform].

La plateforme MQB va standardiser les sections clefs des voitures VW ce qui permettra aux ouvriers de fabriquer plusieurs modèles dans la même usine. Le résultat, c'est que n'importe quelle usine VW peut produire n'importe quel modèle des douze marques du groupe VW. Les chaînes d'assemblage peuvent même passer rapidement d'un modèle à l'autre à la mode "juste à temps" [just in time]. Cela va créer une pression concurrentielle entre les usines d'assemblage du monde entier - notamment une usine chinoise flambant neuve.

Évidemment, la compagnie prévoit que le nouveau système va augmenter l'"efficacité" [efficiency] et la "flexibilité" [flexibility] du travailleur.

Comme beaucoup de ses anciens collègues, Amanda a soutenu les tentatives d'organiser un syndicat à Chattanooga l'année dernière parce qu'elle croyait que la syndicalisation améliorerait les conditions de travail. "Si nous avions eu un syndicat [ce qui m'est arrivé] ne serait jamais arrivé", dit-elle.

Un syndicat minoritaire, UAW Local 42, a récemment rencontré la direction sur le thème de la nouvelle politique "d'engagement de responsabilité sociale" de VW [en anglais, cette bouillie se dit: community organization engagement policy]. Les travailleurs ont déclaré que rien n'avait changé jusqu'ici mais certains appellent à des actions directes contre les horaires des pauses.

"C'est impératif", me dit l'un des membres, "que nous agissions comme unité de travailleurs pour changer nos horaires en quelque chose de plus sain qui augmente considérablement la possibilité d'emploi à long terme à VW".
Chris Brooks est licencié du programme d'Études ouvrières de l'University of Massachusetts.