La Saint Lundi

La Saint Lundi est le nom donné à la sympathique coutume de chômer les lundis. À l'époque, les dimanches n'étaient pas nécessairement chômés puis, quand les dimanches ont été chômés, la saint lundi n'a plus eu la même signification. Il ne s'agissait plus de "voler" un peu de repos mais bien d'étendre le repos déjà existant.

Cette coutume qu'on devrait étendre aux quatre autres jours de la semaine non chômés est parfaitement révolutionnaire:

- elle affirme le droit (elle prend ce droit, elle ne le réclame pas) au travail hors emploi puisque la Saint Lundi était consacrée à des activités de socialisation, à des activités politiques ou culturelles

- elle étend le salaire à des zones hors emploi en mettant l'employeur devant le fait accompli par un rapport de force. La Saint Lundi sépare donc de fait le salaire de l'emploi, elle anticipe une pratique salariale de la valeur, une pratique de la valeur économique détachée d'employeur, d'investisseur, de propriété lucrative.

 Extraits de l'article de la Revue d'Histoire du XIXe sur le sujet (ici, en libre accès)
Parlez donc aujourd’hui de la Saint Lundi à une personne peu familiarisée avec l’histoire des classes populaires du XIXe siècle — en général, votre interlocuteur vous avouera toute son ignorance. Ignorance frappante cependant, quand on sait que cette vieille coutume du monde populaire des villes est considérée au XIXe siècle comme un des grands fléaux sociaux et moraux du siècle. Coutume que les élites religieuses, industrielles et autres cherchent désespérément à combattre pendant des décennies, avant que les circonstances de la fin de ce siècle ne leur accordent définitivement le triomphe sur un élément traditionnel de la culture populaire, jusqu’au point où la mémoire collective va extirper toute trace de cette culture — ce qui explique l’ignorance de votre interlocuteur.

Il s’agit de la coutume de nombreux ouvriers de chômer volontairement le lundi, parfois même quelques jours de suite. En principe, ces ouvriers se rencontrent à la porte de l’atelier, ou sur le chemin du travail dans un « mastroquet ». D’autres commencent le travail pour le quitter ensuite vers le midi et passer le reste de la journée du lundi en dehors de l’atelier. Quelquefois, ils se donnent aussi rendez-vous dans une guinguette sans se rendre sur leur lieu du travail. Cette coutume représente une véritable institution dans le monde du travail qu’on peut rencontrer un peu partout en Europe, dans les pays scandinaves et germaniques, en Catalogne comme en Andalousie, en Belgique comme en Angleterre 1. Il ne s’agit pas non plus d’une invention du XIXe siècle, malgré les affirmations de certaines sources catholiques, y apercevant une machination de la Révolution pour nuire au dimanche, et ainsi à la religion, mais d’une tradition dont les origines se perdent au Moyen Âge 2. Dès la fin du XVIe siècle, les premières interdictions frappent la coutume de chômer le lundi, par exemple dans le pays de Montbéliard, ce qui ne l’empêche pas de survivre jusqu’à la Révolution et bien au-delà 3. À la fin du XVIIe siècle, époque de suppression d’une vingtaine de fêtes religieuses, les artisans de Paris ont déjà pris l’habitude de chômer le lundi et un mardi sur deux 4, alors que les compagnons imprimeurs de Lyon, vers 1730, ne commencent leur ouvrage qu’à partir de jeudi 5.

Les témoignages concernant la coutume de la Saint Lundi de la fin de l’Ancien Régime circonscrivent un grand Nord en France où ce chômage ne s’est pas seulement maintenu mais a même pris de l’envergure. Elle n’est pas seulement attestée dans les villes mais aussi dans les artisanats des sociétés rurales, à la fois en Bretagne et en Franche-Comté 6, et elle concerne surtout les métiers issus des structures de la proto-industrie. Les guinguettes, comme à Paris, semblent jouir de la préférence des artisans et des compagnons pour y passer cette journée 7, de même, mais dans une moindre mesure, les cabarets intra-muros 8, où artisans et compagnons prolongent les libations du dimanche. 
Le discours rationnel et productiviste que véhicule le calendrier républicain sous la Révolution, ne réussit pas à mettre un terme à la coutume du lundi. Certains artisans parisiens auraient même profité de l’ambiguïté créée par la coexistence de deux calendriers pour fêter à la fois la Saint Lundi et la « Saint Primidi » 9. Au début du XIXe siècle, à une époque d’industrialisation balbutiante, la Saint Lundi est donc bien vivante et bien ancrée dans le monde du travail. Elle va connaître ensuite une évolution diversifiée, au point que ce siècle constituera le moment à la fois de son apogée et de son déclin définitif.
 (...)

Un autre trait commun à de nombreux adeptes du lundi réside dans leur situation de logement — ils logent souvent en garni, à l’exemple des menuisiers et peintres, tailleurs et graveurs de verres, fondeurs de métaux…. Cette circonstance concerne aussi les femmes (comme celles qui travaillent dans l’horlogerie 37). Si la Saint Lundi peut de nouveau s’installer à Lyon, c’est justement la conséquence de la disparition de la solidarité de l’ancien atelier et des liens de dépendance créés par le fait que l’ouvrier est logé et nourri par son patron 38

L’ouvrier, notamment s’il dispose d’un salaire assez élevé, peut donc se permettre, en l’absence d’une véritable discipline au sein de l’atelier, de s’absenter le lundi et de ne travailler que trois, quatre ou cinq jours par semaine. De même, il peut choisir de travailler dans la matinée du dimanche pour augmenter les ressources nécessaires aux dépenses conditionnées par la fête du lundi. L’ouvrier reçoit en général son salaire le samedi, ce qui constitue une autre raison capitale, aux yeux des pourfendeurs de la Saint Lundi, de fêter ce jour-là, simple prolongation alors des libations entamées dès le samedi soir 39. L’évolution du travail du dimanche à partir des années 1830 rompra cependant cette unité temporelle, ce qui met, au moins partiellement, en cause cette raison.
mais la crise et un changement de représentation, une intériorisation du producérisme employiste parmi les ouvriers et ouvrières auront raison de cette belle tradition:

La crise économique fait apparaître le spectre du chômage involontaire, toujours opposé à la fête du lundi 125. La même crise économique constitue aussi un point de passage vers une mécanisation et une motorisation générales de l’industrie, incompatibles avec l’autodétermination du temps ouvrier. À cela s’ajoute une prolétarisation progressive (mais incomplète) de la classe ouvrière qui la prive également de toute autonomie et l’enferme dans les « bagnes » des usines, régis par une discipline impitoyable. 
Qu'à cela ne tienne, comme les employeurs sont en train de nous sucrer tous les jours fériés, comme ils attaquent toutes les pratiques hors emploi de la valeur économique, nous pouvons renouer avec ces charmantes traditions ... à condition de défendre nos salaires (à l'époque, la Saint Lundi se pratiquait chez les ouvriers qui avaient un salaire suffisant), d'une part, et d'autre part, à condition de nous débarrasser de la vision producériste, de la vision employiste, morale, culpabilisante du travail sous sa forme dévoyée d'emploi (c'est l'intériorisation de ce rapport névrotique au travail qui a eu raison de la tradition de la Saint Lundi).

Vive la Saint Lundi!
Vive la Saint Mardi!
Vive la Saint Mercredi!
Vive la Saint Jeudi!
Vive la Saint Vendredi!
Vive la Saint Samedi!
Vive le salaire, vive le travail hors emploi et vive la jouissance de cette merveilleuse vie!