Résumé
Cette
note résume
et traduit
un article collectif, À
la recherche de l'homo œconomicus : expériences
comportementales dans 15 sociétés à petite échelle1.
L'article
démontre de façon comportementale que les sujets de groupes humains
isolés, non capitalistes, ne réagissent pas comme le modèle de
l'homo œconomicus le prévoit. Ils ne maximisent pas nécessairement
leur gain et peuvent renoncer à un gain probable.
-
Note
de lecture
L'étude
constate que les comportements des sujets issus de 17 communautés
non capitalistes ne correspondent pas aux prédictions du modèle de
l'homo œconomicus. Les sujets sont souvent motivés par
autre chose que leurs propres profits matériels. Beaucoup
s'inquiètent de justice et de réciprocité, veulent changer la
distribution des ressources matérielle – y compris à leurs
dépends – et veulent récompenser ceux qui agissent de manière
coopérative et punir ceux qui ne coopèrent pas. Ces déviations par
rapport au modèle théorique de l'homo œconomicus ont de
l'importance pour la modélisation de nombre de phénomènes
économiques – parmi lesquels la conception des institutions
optimales, le droit contractuel et le droit de propriété, les
conditions de succès d'action collective ou la résistance de primes
salariales non compétitives.
Le
jeu ultime (UG en anglais) a été essayé à travers le monde avec
des populations étudiées. Le « proposeur » dans ce jeu
reçoit l'équivalent d'un jour ou deux de revenus dans la société
et doit offrir à une autre personne, le « répondeur ».
Le répondeur peut alors soit accepter l'offre, auquel cas, les deux
joueurs reçoivent le montant proposé, ou la refuser, auquel cas les
joueurs ne reçoivent rien du tout. Si les deux joueurs se conforment
au modèle canonique [l'homo œconomicus], et si tout le monde le
sait, il facile de voir que le proposeur saura que le répondeur
acceptera toute les offres positives et offrira donc le plus petit
montant possible, ce qui sera accepté.
Dans
la plupart des champs d'expérience, les sujets ont joué de manière
anonyme, ils ne connaissaient pas l'identité de la ou des personnes
avec qui ils faisaient équipe. Les enjeux de la plupart des jeux
étaient libellés en argent bien que, dans certains cas, le tabac ou
d'autres biens aient été utilisés. Dans tous les cas, nous avons
testé les participants et nous avons éliminé ceux qui ne
semblaient pas comprendre le jeu.
Les
offres ont souvent dépassé les 25 %, allant au-delà de 50 %
chez les Aché et les Lamelara [alors que le modèle canonique
prévoit des offres très faibles]. Les offres dans les sociétés
industrielles tournent autour de 50 %, celles des autres
sociétés varient entre 15 et 50 %. Le taux de refus des offres
de moins de 20 % est compris entre 40 et 60 % dans les
sociétés industrielles alors que le taux de refus des offres basses
est très faible dans les autres sociétés. Cependant, dans d'autres
groupes, on observe un taux de rejet considérable, même des offres
de plus de 50 %. Chez les Achuar, les Aché et les Tsimané, on
n'observe aucun rejet après 16, 51 et 70 propositions. De plus,
alors que les Aché et les Achuar faisaient des offres honnêtes,
près de la moitié des offres de Tsimané étaient inférieures à
30 % mais elles furent toutes acceptées. À l'autre extrémité,
les répondeurs Hadza ont rejeté 24 % de toutes les offres des
proposeurs et 43% des offres en dessous de 20 %. Contrairement
aux Hazda qui préfèrent rejeter les offres trop basses, les Au et
les Gnau de Papouasie Nouvelle-Guinée ont rejeté aussi bien les
propositions honnêtes que les propositions hyper-généreuses (plus
de 50%) avec une fréquence presque égale.
Dans
les expérience avec les universitaires, les offres sont généralement
en phase avec la maximisation des revenus, vu la répartition des
refus. Dans notre échantillon, cependant, dans la majorité des
groupes, le comportement du proposeur ne correspond pas à la
maximisation des revenus. Chez les Tsimané et les Aché, par
exemple, les offres en dessous de 20 % n'ont pas été rejetées.
Le taux de refus des autres propositions est également de zéro.
Cependant, l'offre prévue par le modèle est de 50 % et les
offres moyennes sont de 37 % et de 51 % respectivement.
Quand c'était possible, nous avons utilisé la relation entre
l'importance de l'offre et la proportion de rejet pour évaluer les
offres qui maximisaient les revenus dans le groupe considéré. Dans
un groupe, les Hazda, les proposeurs approchaient de l'offre
maximisant les revenus. Mais les répondeurs Hazda rejetaient
régulièrement les propositions généreuses en violation du modèle
canonique. Dans tous les autres groupes, les offres moyennes
dépassaient l'offre maximisant le revenu, dans la plupart des cas,
de manière assez substantielle.
L'indépendance
économique individuelle des acteurs économiques des sociétés
considérées et leur intégration dans un système capitaliste ne
sont pas corrélées de manière significative avec la générosité
des offres. Face à une situation d'offre inhabituelle, les gens se
réfèrent à leur cadre de vie habituel et, dans une société de
don et contre-don, l'acceptation d'une offre généreuse engage à
offrir la réciproque à un moment donné alors que les Hazda
craignent les conséquences sociales de l'absence de partage
Alors
que nos résultats n'impliquent pas que les économistes doivent
abandonner le cadre rationnel, ils suggèrent deux révisions
majeures du modèle.
1.
D'abord, le modèle de l'acteur égoïste, maximisateur de retour
matériel est systématiquement violé. Dans toutes les sociétés
étudiées, les offres UG sont positives et souvent largement
excessive par rapport à l'offre attendue qui maximise les revenus,
comme le sont les contributions dans les les jeux de biens public
alors que les refus d'offres positives dans certaines sociétés
arrivent assez régulièrement.
2.
Les choix économiques sont déterminés non par des éléments
extérieurs mais par les pratiques économiques des sociétés
elles-mêmes, par leur vie quotidienne.
1In
Search of Homo Economicus: Behavioral Experiments in 15 Small-Scale
Societies
Auteurs: Joseph Henrich, Robert Boyd, Samuel
Bowles, Colin Camerer, Ernst Fehr, Herbert
Gintis, Richard McElreath