Droit de cuissage

  • L'ancien régime

Dans l'ancien régime, le droit de cuissage était le droit pour le seigneur de passer la première nuit avec une jeune femme serve. L'existence même de ce droit est sujette à caution. Nous ne parlons évidement pas des viols étouffés par peur de représailles, il s'agit alors d'abus de pouvoir et de viol, pas d'une pratique établie d'un droit (ce qui ne doit pas consoler les intéressées, nous sommes d'accord).
En réalité, nul n'a jamais retrouvé mention de cet usage dans le droit positif français, ni dans les coutumes de France, ni dans les archives publiques du contentieux civil ou fiscal. Au contraire, on trouve des condamnations de seigneurs punis pour avoir abusé de leur position d'autorité pour commettre des abus sexuels. Ce mythe du droit de cuissage est peut-être emprunté au rite du mariage par procuration (Wikipédia).

Ce qui s'est en tout cas pratiqué de manière indiscutable, c'est le droit de quittage, l'amende infligée aux serves qui se mariaient avec des serfs d'un autre seigneur.

  • Le droit d'utiliser les serveuses (et les serveurs)
Au sens moderne, le droit de cuissage a pris un sens figuré. Il ne s'agit pas de droit garanti par les lois mais de pratiques tolérées voire d'usages établis. Il s'agit d'une extension de la relation d'exploitation de l'emploi au corps-même de l'employée.

Dans la restauration, par exemple, il est fréquent que les serveuses doivent accepter des traitements dégradants de la part des clients. Elles sont sous la pression de l'emploi, dans la crainte du chômage et, si elles n'acceptent pas de se laisser faire, le licenciement se profile avec son cortège de misères.

Il peut s'agir de se laisser caresser ou de se laisser taper le derrière, il peut s'agir d'écouter avec le sourire des plaisanteries graveleuses humiliantes, il peut s'agir de parler poliment à quelqu'un qui vous manque de respect.

En tous les cas, le droit de cuissage étend les abus de l'emploi à l'intime sans rémunération en conséquence.

  • La promotion canapé
Le corps sert de faire-valoir professionnel à une carrière faute de reconnaissance de la qualification. C'est la souffrance du manque de reconnaissance de qualification et de rémunération qu'attestent ces stratégies arrivistes.

Elles étendent la vie de l'emploi à l'intime et peuvent même affecter les alliances matrimoniales, les alliances familiales. Elles s'imposent pour s'extraire de la misère ou pour être valorisée.

  • Le team building

Le team building (construction d'équipe) constitue la forme la plus pernicieuse du droit de cuissage, de l'extension de l'emploi à l'intime. Il touche la vie sociale, affective, amicale, il a envahi les loisirs, les goûts, les habitudes sociales.

Le team building est une mise à disposition gratuite des corps et des affects pour l'entreprise. Ce droit de cuissage d'entreprise emmène les corps des employés dans des aventures factices, des cocktails ennuyeux ou des événements sportifs pour construire l'esprit d'équipe de collègues dont l'entreprise a besoin pour optimiser sa production. Le loisir de l'employé est réquisitionné pour augmenter la productivité de l'entreprise, pour que l'identité de l'entreprise soit intériorisée par l'employé.

Cette mise à disposition est sans contre-partie mais elle peut s'étendre à tous les domaines de la vie sociale et affective: des crèches d'entreprise fleurissent au milieu de soirées mondaines d'entreprise, de clubs de rencontre d'entreprise ou de pseudo week-end de formation-lavage de cerveau d'entreprise.

Le propriétaire utilise des managers qui utilisent le corps et le temps des corps sans limite pour optimiser leurs stratégies de production. Le droit de cuissage s'étend et grignote la liberté, le temps qui flâne, l'identité et l'intégrité personnelles.