Paupérisme

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En termes politiques, parler de pauvres permet de ne pas parler de classes. En ce sens, ce concept est un mouroir politique et il permet, en outre, d'évoquer une légitime urgence. Mouroir politique et stratégie du choc.

Mais ce concept et la façon tour à tour paternaliste et calomnieuse dont il est utilisé permet d'évacuer la question de la distribution des ressources et de leur accès. Il permet de ne pas interroger la violence sociale qui condamne des gens à une existence misérable alors qu'il y en a qui se gavent.

Pour cet article sur le paupérisme, nous allons suivre le travail de Jean Neuville sur la classe dangereuse du XIXe, les ouvriers. Il a procédé à une récollection de documents historiques retraçant la perception bourgeoise de cette classe et sa construction dans les consciences bien-pensantes.

Mendiants au moyen-âge, ouvrier lors de la révolution industrielle, chômeurs ou "minimexés, rsastes" ou banlieusards, jeunes, aujourd'hui, la figure de la classe dangereuse dans les beaux salons a évolué.

Mais les préjugés de classe et le mépris arrogant de le domination sûre d'elle n'ont pas bougé d'un iota ... depuis le quatrième siècle.

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Source: Jean Neuville dans La condition ouvrière au XIXe siècle, tome 2, L'ouvrier suspect, Éditions vie ouvrière, Bruxelles, 1977, parle de la posture de la bourgeoisie catholique envers les ouvriers.

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1. Les bons pauvres et les mauvais pauvres

Si une prédilection pour la "vertu" de pauvreté et une grande attention vis-à-vis du pauvre - "membre souffrant du Christ" sur terre - sont caractéristiques du Moyen-Âge, il y a aussi, le traversant de part en part, une constante: la distinction entre le vrai pauvre et le faux. Distinction généralement fondée sur la validité ou l'invalidité du pauvre; celui qui est valide est un fainéant, ne méritant aucune considération.
Cette position renvoie aux néolibéraux qui soupçonnent les invalides "d'abuser", qui réclament des contrôles pour bien vérifier qu'ils sont invalides, pour vérifier que ce sont de "bons pauvres".
parmi [les mendiants] que l'on reconnaîtrait comme valides, l'esclave fugitif serait rendu à son maître, l'homme libre astreint au colonat à perpétuité au profit de celui qui l'aurait découvert. Au souci de purger la capitale se joignait celui de renforcer la main-d’œuvre rurale et notamment la main-d’œuvre assujettie que manifestent plusieurs lois de la fin du IVe siècle.
Source de Neuville: Evelyn Patlangean, La pauvreté byzantine au VIe siècle au temps de Justinien: aux origines d'un modèle politique, La Sorbonne, Série Études, Tome 8, p. 69.

Nous voilà rassurés: Deblock, la ministre de la santé belge actuelle, est parfaitement en phase avec Justinien. Les esclaves n'ont qu'à bien se tenir.

Mais la crainte du "mauvais pauvre" se doublait d'une aversion pour l'oisiveté et d'une condamnation sans appel non de la pauvreté et de ce qui la génère mais ... des pauvres eux-mêmes. Neuville cite Vives (De subventione pauperum, 1525).
Parfois [les pauvres] dédaignent l'aumône qu'on leur donne, si elle n'est pas aussi importante qu'ils le désirent; ils la repoussent d'un air fâché et contrarié et avec des paroles injurieuses. L'aumône reçue, ils se rient et se moquent de ceux qui la donnèrent, tant ils sont éloigné de prier Dieu pour ceux-ci.
Bref, le paupérisme et la charité expriment un mépris de classe. Le pauvre ne mérite pas son argent, il est indigne de le gagner et ne méritent pas la réussite. En filigrane, si le pauvre ne mérite pas son argent, le riche, lui, le mérite et a beaucoup de mérite à faire l'aumône.



2. Les clichés sur les pauvres


Tous les clichés contre les pauvres tendent à prouver que les riches ne sont pour rien dans la pauvreté des pauvres, qu'ils la méritent, et qu'il ne faut surtout pas éradiquer la misère (ça viderait les usines). Parmi les clichés utilisés contre les pauvres, depuis la fin de l'antiquité jusqu'aux discours employistes actuels, on a

1. Les pauvres sont dangereux

Citations de Neuville:
Le vagabond était classé avec les truands, trouwanten, ribaulx, dans les non surcéants ou non domiciliés, "c'est-à-dire les gens valides, mendiant par paresse ou exerçant une industrie suspecte, qui n'avaient pas de demeure fixe et qui erraient d'habitude de lieu en lieu. Ces gens qui n'avaient aucune assiette dans la société et qui ne lui offrait aucune garantie, étaient traités par elle en suspect sinon en ennemis. Ils ne jouissaient d'aucune garantie légale ni en matière d'administration ni en matière de juridiction. Ils étaient en tout et pour tout abandonnés à l'action discrétionnaire des princes, de leurs agents, des seigneurs justiciers, des communes ..."
Source de Neuville: Ed. Poulet, Origine ..., Tome 1, n° 941.

C'est beau comme Valls qui parle des Roms ou Sarkozy qui parle des banlieues ... rien de neuf sous le soleil donc, le danger, c'est le pauvre.

Avec un petit droit de réponse, donc, en vidéo et en chanson:



2. Les pauvres sont coupables de leur pauvreté. 

Ah! les salauds de pauvres, décidément. En version néo-libérale, cela donne: les chômeurs sont au chômage de leur faute, parce qu'ils ne cherchent pas vraiment d'emploi et peu importe que les conditions d'emploi soient indignes et la condition de se vendre à vil prix à un maître pour une méchante monnaie.

D'autres [pauvres], oisifs, se font une profession de leurs maux, pour la douceur que leur procure le profit [on croirait un discours du FN sur les rsastes!]. Ils ne veulent de nulle manière changer leur mode d'acquérir de l'argent. Et si quelqu'un veut les sortir de leur état de mendicité, ils ne mettent pas moins d'ardeur à s'en défendre que d'autres à garantir leurs richesses. Et ainsi, tout en étant déjà  riches, quoique secrètement [les pauvres sont riches: le fameux mythe des millionnaires avec les allocations familiales existait déjà!], ils demandent encore l'aumône et la reçoivent de ceux auxquels, à meilleur escient, ils devraient la donner.
Source de Neuville: Vives, De subventione pauperum, mars 1525, traduction par R. A. Casanova, pp. 89 sqq.

L'argument est toujours aussi simpliste à travers les siècles: les pauvres ne sont en fait pas pauvres puisqu'ils profitent, il ne faut donc surtout pas les aider. CQFD et, du coup, les riches peuvent être riches sans se poser de question.

3. Les pauvres sont des fainéants et des profiteurs. 

Les riches sont déjà bien gentils de tolérer que les pauvres se laissent dépouiller par eux.

C'est connu, les pauvres crachent à la figure des gentils riches - qui n'y sont bien sûr pour rien dans la pauvreté des pauvres (la charité s'exerce toujours des riches vers les pauvres sans que personne ne se demande pourquoi les pauvres sont pauvres) ... Les pauvres (ou les rsastes, aujourd'hui, ou les travailleurs pauvres qui ne peuvent se payer des chemises) méritent bien leur sort (je résume) et ils sont méchants et incapables. Mais ce n'est pas fini. Les pauvres achètent des écrans géants, c'est bien connu:
Les uns cachent avec une avarice incroyable ce qu'ils recueillent et ne le révèlent pas à leur mort pour qu'on en puisse usage en leur faveur.
D'autres, avec une ostentation et une prodigalité détestable, consomment désordonnément ce qu'ils acquièrent, en repas splendides tels que n'en font pas chez eux les citoyens opulents. Ils gaspillent plus aisément une pièce d'or en chapons et poissons délicats ou en vins généreux que les riches une pièce de cuivre. Ce n'est pas sans raison que l'on a dit que ces pauvres mendient pour le gargotier et non pour eux. Et cela provient de l'assurance où ils sont de trouver demain autant d'argent qu'ils en dépensent et avec la même facilité.
4. Les pauvres dépensent mal leur argent.

Antienne rabâchée parmi toutes, celle-ci, en version moderne, nourrit, par exemple, l'idée que les pauvres sont suréquipés en gadgets high-tech ou encore que les migrants ont des téléphones derniers cri.
D'autres avec une ostentation et une prodigalité détestable, consomment désordonnément ce qu'ils acquièrent, en repas splendides tels que n'en font pas chez eux les citoyens opulents [il s'agit d'un texte du XVIe, donc, une époque ou les disettes et les épidémies ramenait l'espérance de vie des pauvres en-dessous de celle de l'âge de pierre]. Ils gaspillent plus aisément une pièce d'or que les riches une pièce de cuivre. Ce n'est pas sans raison que l'on a dit que ces pauvres mendient pour le gargotier et non pour eux.

Source de Neuville: Vives, De subventione pauperum, mars 1525, traduction par R. A. Casanova, pp. 89 sqq.


5. Il faut mettre les pauvres au travail

Les capitalistes et les industriels aiment les pauvres. Au début de l'ère industrielle, on les a progressivement enfermés dans des asiles, des working house, des camps de travail. Aux États-Unis, le recours à la main-d’œuvre en prison se fait à échelle industrielle, aux Pays-Bas et dans certains département français, on parle de faire travailler les pauvres qui reçoivent des allocations sociales. Un service de travail obligatoire malheureusement, les actionnaires ne bénéficient pas des sollicitudes du paupérisme.

On ne permettra pas même aux aveugles d'être ou d'aller oisifs: il y a beaucoup de choses en lesquelles ils peuvent s'exercer (...) que d'autres fassent mouvoir des tours ou rouages; que d'autres travaillent dans les pressoirs, aidant à manœuvrer les presses; que d'autres s'évertuent au soufflet dans les ateliers des forgerons (...) aux malades et aux vieillards, que l'on donne aussi des choses faciles à travailler, selon leur âge et leur santé; nul n'est invalide au point que les forces lui manquent entièrement pour faire quoi que ce soit. (...) aux infortunés qui demeurent chez eux, il faut procurer de l'ouvrage ou de l'occupation aux travaux publics: il ne manquera pas de quoi leur donner à travailler pour les autres citoyens [puis, faudrait pas qu'on les paie en plus].
Source de Neuville: Vives, op. cit.


3. La posture du paupérisme


Derrière ces fadaises que nous ressassent encore les politiciens réactionnaires, se cache le vol des pauvres par les riches. Ce vol tient aux institutions de la propriété qui permettent à quelques uns de s'emparer du fruit du travail du grand nombre et de s'accaparer les richesses. En fait, les discours de racisme de classe tenus contre les pauvres - depuis le Moyen-Âge jusqu'à Fillon ou Macron - tendent, en stigmatisant les gens qui sont manifestement les victimes d'un vol, le vol des communs et du droit d'accès aux ressources communes, dédouane les propriétaires de toute responsabilité et leur attribue une essence supérieure, plus digne, plus noble.

La charité dédouane le riche voleur et charge le pauvre volé sous de creux discours moraux.

Rien de neuf sous le soleil chez les "modernes", chez les De Block [ministre de la santé belge] qui entendent vérifier que les pauvres sont "des bons pauvres qui en ont vraiment besoin", chez les Sarkozy effrayés par l'oisiveté, chez les Macron-Fillon, pères la rigueur pour les nécessiteux (qui dépensent forcément mal leur argent) et pères Noël pour les classes prédatrices.

Le revenu de base pousse cette idée au bout: on ne peut donner qu'aux seuls pauvres (ce serait leur attribuer un "mérite" qu'ils n'ont pas). Il faut donc donner à tous. Et cela permet, comme au Moyen-Âge et comme au XIXe siècle, d'assumer les devoirs de l'employeur à sa place. C'est la technique Walmart, c'est la technique du Speenhamland Act (voir à la fin de l'article ici), c'est la technique du revenu de base.

Citation de Neuville:
J'ai dit encore que les industriels aiment mieux ajouter au salaire un secours qu'un suppléments, parce qu'on peut interrompre le système de secours, tandis que le salaire, une fois haussé, est difficile à baisser. Ce système change l'ouvrier en indigent et charge la charité de ce qu'elle n'est pas destinée à  supporter. (...) je ne crains pas d'être démenti en affirmant que les salaires ne suivent les subsistances  que comme la justice suit le crime, pede claudo, d'un pied boîteux. On met ainsi à la charge de la charité des gens qui ne devraient pas y être.

source de Neuville: Intervention de Charles Perin à l'Assemblée [patronale] de Malines en 1863.



Il s'agit de faire peser sur les classes moyennes la charge des pauvres réduits à des êtres de besoin et de permettre aux capitalistes d'accumuler à l'infini.

Mais cette technique, en opposant les producteurs réduits à l'état de nécessiteux et les producteurs de la classe moyenne porte en elle un danger. Elle peut amener la société à l'explosion ou à la guerre civile, à des bandes de pillards (comme les Pastoureaux), à des jacqueries ou à des pogroms contre les pauvres.