Manipulation mentale

  •  Faiblesse, dépendance et crainte

Résumé de Farber et alii, Brainwashing, conditioning and DDD, Sociometry, Vol 20, 1957, 271-285 (ici, en anglais).

En 1957, une équipe de chercheurs en psychologie comportementale a étudié les comportements des soldats américains de retour de Corée, pendant la guerre. Étonnamment, peu suspects de sympathie communiste ou maoïste au départ, ils avaient pris fait et cause pour l'ennemi qu'ils avaient combattu.

Les psychologues ont découvert les techniques utilisées à cette époque pour obtenir ce retournement de veste. Par la suite, l'armée américaine et les services secrets récupéreront ces techniques avec le succès que l'ont sait.

Il s'agit des trois d en anglais:

- la debility, la faiblesse: les soldats ont été soumis à rude épreuve, ils ont subi des privations et ont été coupés du monde. Leur univers mental et physiologique s'est affaibli du fait de la coupure sensorielle, affective et énergétique avec le monde.

- la dependency, la dépendance: ils ont été mis sous la coupe de décisions arbitraires de geôliers tout puissants. Ils ne pouvaient rien faire qui ne fût approuvé.

- la dread, la crainte: les soldats étaient à tout moment menacés de représailles arbitraires, imprévisibles. Par contre, les sanctions n'étaient pas nécessairement systématique, ce qui générait une angoisse plus destructrice encore que ne l'est la certitude de la punition.

Suite à ces mauvais traitements, les soldats perdaient leur moi, leur identité ou leur opinion propre et devenaient éminemment manipulables.

  • Emploi et DDD
La logique de l'emploi obéit strictement à ces principes et déstructure de la même façon le moi de l'employé:

- Debility: l'employé est rudoyé, parfois même, il souffre de privations faute de salaire suffisant. On lui dit qu'il travaille mal, qu'il est un coût et qu'il est remplaçable par d'autres qui attendent leur tour derrière lui. Il doit sans arrêt prouver dans des évaluations absurdes qu'il obéit à l'injonction de productivité. Régulièrement, des employés sont licenciés, harcelés. Certains sont moqués, humiliés en publique comme si la carrière devait ressembler à un immense bizutage de quarante ans (et plus).

- Dependency: l'employé est soumis au bon vouloir des employeurs, des actionnaires ou de la conjoncture. Il dépend d'eux pour gagner l'argent dont il a besoin pour vivre ou pour faire survivre sa famille. Il n'y a pas de moyen alternatif pour gagner sa vie: les prestations sociales sont notoirement insuffisantes pour vivre et la possibilité de monter une entreprise personnelle se heurte à la concentration du capital, à la taille et à la puissance des équipements de la concurrence.

- Dread: l'employé peut être renvoyé à la misère à tout moment. La boîte peut être rachetée par un dépeceur d'entreprise à tout moment, la conjoncture économique peut se retourner à tout moment. Les actes posés en tant que travailleur n'ont qu'une incidence minime sur la carrière. L'employé est soumis à l'arbitraire le plus absolu, il ne sait pas si la sanction va s'abattre, ne sait rien faire pour l'éviter. L'incertitude permanente - aussi bien partagée par le chômeur harcelé ou par l'indépendant - donne un sentiment d'impuissance, elle insinue une angoisse permanente. Rien n'est sûr, rien n'est garanti, tout est fragile, liquide.

L'employé se retrouve donc en situation de manipulation mentale du fait du système économique et de la vente du temps humain sur le marché de l'emploi. Il perd son identité, ses objectifs, ses valeurs, ses spécificités et devient éminemment manipulable. Il est alors devenu un masque sans visage, un personnage sans personne, c'est ce qu'on appelle en russe un bézobrazié.

Et manipulé - par le patron ou par la publicité, par les collègues ou par le conformisme social - l'employé pose des actes que sa morale réprouverait profondément.