Pléonexie (πλεονεξία)

Jusqu'à ce que l'utilitarisme triomphe en Europe, c'est-à-dire jusqu'au XIXe siècle, la règle reçue des philosophes et des sociétés traditionnelles était la condamnation de la pléonexie, de l'accumulation insatiable. Les Grecs illustraient cet interdit par l'histoire du roi Midas qui, après avoir fait voeu de transformer tout ce qu'il touchait en or, faillit mourir de faim et de soif dans une totale solitude. Jean Chrysostome, qui pour illustrer la même idée, imagine riches et pauvres vivant dans deux villes distinctes et présage la ruine de celle des riches: leur cité n'ayant pas d'autre loi que l'accumulation perd le sens d'un travail réellement créateur.
Alain Supiot (in Bossuet, De l'éminente dignité des pauvres, Mille et Une Nuit, 2015, pp. 44-45)


Selon Wikipédia,
La pléonexie (du grec πλεονεξία, pleonexia) est le désir d'avoir plus que les autres en toute chose. Cela se traduit en pratique par le fait de prendre toujours plus que ce qui nous revient, ou moins, lorsque l'objet se révèle ingrat.
Ce terme est notamment utilisé par Marcel Mauss dans son Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos / Étude de morphologie sociale : « Rink nous dit que les gens d'une station veillent jalousement à ce que nul ne possède plus que les autres ; quand le cas se produit, le surplus, fixé arbitrairement, retourne à ceux qui ont moins. Cette horreur de la pléonexie est aussi très développée dans les régions centrales. » ("Sociologie et Anthropologie" de Marcel Mauss. édition PUF. juin 1991. page 467).
Il nous faut distinguer deux acceptions de la pléonexie:

- l'auri sacra fames, la soif répugnante de l'or (voir notre article anthropologie, la partie consacrée à Weber) est une soif d'or antérieure au capitalisme. Il ne s'agit pas tellement d'avoir plus que d'autres mais d'accumuler à l'infini - cette acception est celle qu'utilise Alain Supiot dans l'exergue.

- la soif de profit du capitalisme est une auri sacra fames spécifique: non seulement, il faut accumuler sans fin mais il s'agit de ne retirer aucun plaisir à cette accumulation, il faut continuer à travailler alors qu'on a gagné suffisamment.

Dans l'économie de l'emploi, de l'utilisation du temps de travail des employés pour faire du profit, pour accumuler, la pléonexie est une soif non d'avoirs, de possession en tant que tels mais c'est une soif de domination sur autrui, une soif de pouvoir et de violence sociale.

Dans la seconde acception, la pléonexie est cette tendance à vouloir dominer les autres par le truchement de la propriété. Le capitalisme donne à la pléonexie un champ de possible considérable puisque les principes mêmes de propriété lucrative et de vente de temps humain de travail contiennent en eux la violence sociale de la domination d'une personne sur d'autres personnes.

La propriété lucrative, c'est le droit d'accumuler au détriment de qui on emploie, de qui loue un bien ou de qui emprunte; la vente de temps humain permet elle aussi de faire exister l'asservissement. La propriété lucrative est dans son essence de toute façon une forme capitaliste de pléonexie, un forme perverse d'un comportement que les anciens considéraient déjà comme pervers.

En réfléchissant sur la pléonexie, sur l'envie d'avoir plus que, on aboutit à la question de la domination et de l'organisation de la violence sociale.

On peut également articuler la pléonexie à l'avidité qui saisit la société de consommation de masse. Le grégarisme, l'imitation des voisins et des collègues repose sur deux forces de conformation: d'une part il s'agit d'avoir au moins autant que les pairs, que les gens de même classe sociale, de même standing; d'autre part, l'affirmation de l'appartenance, de la conformité sociale passe également par la distinction symbolique - au travers de la consommation de signes ostentatoires ou de marqueurs culturels - des classes que l'on domine.

La combinaison de ces phénomènes de conformation pousse à la soif de consommation, pousse à la pléonexie, à l'écrasement social de tiers par signes sociaux (qu'ils soient ostentatoires ou que ce soient des marqueurs culturels).