Communion

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Toute économie est sociale

Nous avons déjà distingué la valeur d'usage et la valeur économique. La valeur d'usage est liée à la relation entre l'objet et le sujet qui lui attribue de la valeur. L'oxygène nous sert énormément. On peut à bon droit escompter qu'on lui attribue une valeur d'usage élevée mais, jusqu'ici, il n'a aucune valeur économique.

La valeur économique est fondamentalement circulaire. Tout se passe un peu comme au Monopoly: les billets peuvent servir parce que les joueurs acceptent que ces billets puissent servir dans le cadre du jeu. Par ailleurs, les règles du jeu sont acceptées par les participants - et ce sont ces règles du jeu qui en déterminant les modalités d'utilisation des billets déterminent aussi la valeur de ces billets.

C'est dire que la valeur économique est le fait

- d'une croyance collective en son opérationnalité
- et c'est cette croyance dans l'opérationnalité de l'argent qui le rend opérationnel. Si l'on se sert des billets de Monopoly dans un autre contexte, ils ne seront pas acceptés parce que la croyance collective ne leur attribue aucune opérationnalité ce qui leur enlève de fait toute opérationnalité
- de règles du jeu qui déterminent la façon d'utiliser la production, les achats, les ventes, les échanges économiques
Ces règles du jeu organisent les modalités de circulation et d'utilisation de la valeur économique.
De ce fait, alors que la valeur d'usage peut-être liée à une relation individuelle, la valeur économique est toujours immédiatement affaire de croyance et de pratiques collective.

Il n'est donc de valeur économique que sociale, que commune.



Salaire et valeur économique

La création de valeur économique se fait par la valeur ajoutée. La valeur ajoutée, en tant que valeur économique est le fruit d'une croyance collective et de règles du jeu utilisées par tous (qu'elles soient admises ou imposées).

Le salaire constitue la source de la valeur ajoutée mais cette source est parasitée par des propriétaires lucratifs, par des investisseurs qui
- entendent organiser la production eux-mêmes
- ne servent à rien dans le processus productif puisque la valeur est le fruit de croyances communes et de règles utilisées par tous
La valeur économique n'existe que parce qu'une communauté humaine a décidé qu'elle existait et parce qu'elle a accepté les règles de création et d'utilisation de cette valeur économique. Le salaire fonctionne de la même façon: parce que la société décide qu'un tel ou une telle aura tel salaire, parce qu'elle attribue à quelqu'un une production de valeur économique, il ou elle crée autant de valeur ajoutée. Les salaires sont donc toujours sociaux au départ.



Les communs

Au Moyen-Âge, certains biens, certaines terres n'appartenaient à personne en particulier. Tous pouvaient les utiliser pour se nourrir, pour se chauffer mais personne ne pouvait s'accaparer ces biens et ces terres. Les sources ou les fours étaient des communs. Tout le monde pouvait utiliser le four à pain, personne ne pouvait le louer et personne ne pouvait faire valoir de droit spécifique sur lui. Ces biens et ces terres étaient appelés des communs.

Les communs ont été privatisés par appropriation individuelle. C'est ce que l'on a désigné par l'enclosure en Angleterre. Les bois publics accessibles à tous se sont fermés. La chasse, le ramassage de bois mort y ont été interdits par le Black Act.

Il reste pourtant quelques communs qui n'ont pas été (complètement) privatisés.
- la langue reste un bien que tout le monde utilise gratuitement sans que personne ne puisse s'enrichir de cette utilisation.

- l'air est un bien commun utilisable gratuitement

- les mathématiques ou les sciences et le savoir sont également utilisable sans propriétaires - même si les droits d'auteur dans leur aspect lucratif sont une forme de restriction à ces communs

- le temps n'appartient à personne, tout le monde en dispose gratuitement et peut le partager mais le salaire par unité de temps commercialise ce bien irremplaçable

Le salaire et l'activité comme communs

Le salaire est une forme de reconnaissance de la création de valeur économique. À ce titre, il est d'emblée liée à la croyance commune dans ladite valeur économique et il est déterminé par par des règles du jeu acceptées (de gré ou de force) par l'ensemble de la communauté.

Et ceci concerne aussi bien les salaires-prestations sociales qui conservent leur caractère commun que les salaires individualisés. Ceci appelle une petite remarque: l'employeur sert d'intermédiaire entre des clients qui paient le prix d'une marchandise et des producteurs sous salaires communs ou individualisés. Mais cet intermédiaire va lui-même décider qui produit quoi et pour quoi. Il va accaparer une partie de la valeur créée par les producteurs pour décider comment affecter les investissements et une autre partie pour se rémunérer en tant que propriétaire lucratif. L'employeur s'attribue le droit de reconnaissance de la valeur produite par les travailleurs alors que ce droit découle, nous l'avons vu, au départ d'un commun. Heureusement, dans le cas des salaires par cotisation-prestation, dans le cas des salaires communs, l'employeur est exclu de ce privilège aberrant.

Mais le salaire organise en partie l'activité humaine. Bien des choses peuvent motiver une activité mais, au départ, d'une façon ou d'une autre, de rendre le monde compatible avec l'existence de celui ou celle qui mène l'activité. L'activité peut être vue comme une individuation, une singularisation du monde. Les loisirs, la détente, l'activité sexuelle ou artistique, les activités domestiques ou reconnues productives sont toutes des formes de transformation du monde qui permettent au sujet individuel ou collectif qui les mène de poursuivre son existence - en s'attribuant du confort, de la reconnaissance sociale, du plaisir, en se permettant d'étancher sa soif, sa faim ou de se chauffer - au sein d'un univers.

L'ensemble des activités d'humanisation du monde constitue ce que nous appelons le travail concret alors que la contrepartie économique éventuelle de ces activités est appelée travail abstrait. Nous avons vu que le travail abstrait sous la forme de salaire était un commun accaparé par l'employeur. Comme l'employeur décide qui fait quoi et comment, il accapare aussi une partie du travail concret.



La Communion

Le salaire - commun ou individualisé par l'employeur - ne peut donc pas être un coût puisqu'il crée la valeur économique et que la valeur économique est un commun. Il est créé parce que l'on croit tous à son opérationnalité et qu'on accepte - de gré ou de force - les règles du jeu.

Ceci rappelle un acte que les catholiques connaissent bien: la communion. Il ne s'agit bien sûr pas d'adopter une démarche prosélyte pour telle ou telle religion ici mais d'utiliser la force de l'image d'une religion en particulier pour faire comprendre une manière de penser. La communion, c'est le moment où l'ensemble des officiants attribuent une valeur divine, sacrée à ce qui est au départ un simple morceau de pain et un simple verre de vin. Par la foi commune des paroissiens, par les règles du rite acceptées par toutes et tous, le moment rend de simples mets sacrés, il leur donne une valeur commune, en change la substance symbolique.

Toute proportion gardée, la valeur économique fonctionne un peu de la même façon même si la force de la foi et le désintéressement de la démarche des ouailles ne correspondent à rien dans le cas de l'économie. L'activité du sujet fonctionne aussi de la même façon. C'est notre regard collectif, notre adhésion à ce qu'elle raconte, à son mouvement du monde qui construit l'acte, qui naît le monde.

Et cette naissance n'épuise pas plus la faculté à naître que notre regard sur la valeur économique n'épuise notre faculté à en attribuer. Nous pouvons croire au salaire, nous pouvons nourrir l'ambition de l'activité sans épuiser notre capacité à croire ou à nourrir de l'ambition. Nous pouvons attribuer de la valeur économique non au temps consacré au lucre mais à la personne.

Alors, nous pourrions commencer à attribuer une valeur économique à ce qui en a vraiment, c'est-à-dire ni à notre temps compté comptable, ni à notre quantité de travail concret, ni à notre soumission à un intermédiaire inutile, à un employeur, ni à la quantité de bidules que l'on vend mais à ce qui est le précieux sur terre, mais à

Nous, quels que soient ces nous.