Dictature du prolétariat

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Ce blogue est destiné à être un endroit de réflexion. Plus que des vérités ou des enquêtes, ce sont des essais sur la marche du monde dans une optique (très) critique vis-à-vis de l'emploi.

C'est que tous les syndicalistes, tout le personnel politique, tous les hommes d'affaire, tous les chercheurs réclament unanimement de l'emploi.

Ils font chorus pour revendiquer, exiger, un contrat de subordination qui soumet l'activité économique à l'enrichissement d'un propriétaire sans autre légitimité que son titre de propriété.

La lecture de Marx nous apprend qu'il existe des classes sociales. Elles sont définies par des rapports de production dans le système capitaliste. Concrètement, le capital se valorise via des investissements et l'achat de la force de travail en revendant les biens et les services produits par ladite force de travail.
Marx définit deux classes essentielles: le prolétariat n'est pas propriétaire des moyens de production. Il doit vendre sa force de travail pour survivre puisqu'il est exclu de la propriété (d'usage) de toutes ressources utiles à garantir sa propre survie.

La bourgeoisie détient les moyens de production sans en avoir usage. Elle a un rapport de propriété lucrative aux outils de production. 

Les prolétaires utilisent, reproduisent et produisent l'outil de production mais sont maintenus dans le besoin de vendre leur force de travail alors que les bourgeois n'utilisent pas l'outil de production, ne le produisent pas ou ne le reproduisent pas mais ils en tirent l'intégralité des fruits lucratifs et décident ce qui se produit, comment et, surtout, qui est reconnu producteur, qui a le droit d'être employé, d'être asservi à son insatiable avidité.

Marx parle d'horizon de dépassement du capitalisme. Pour lui, c'est la dictature du prolétariat qui s'imposera sur les ruines des contradictions capitalistes (je fais un peu court, désolé).




En entendant récemment Bernard Friot dans une vidéo en ligne (ci-contre), il m'est venu une interprétation personnelle du concept marxiste. Il explique que la bourgeoisie a triomphé de la noblesse en imposant progressivement sa pratique de la valeur. Les nobles fonctionnaient avec des serfs, ils avaient une pratique de l'économie tournée vers l'agriculture et les dépenses somptuaires. Ils n'échangeaient pas ou peu, économiquement parlant. Pendant des siècles, la bourgeoisie a construit ses pratiques d'échange économiques dans des lieux propres et selon des modalités spécifiques.

Aujourd'hui, les pratiques économiques et la définition de la valeur économique sont devenue bourgeoise de manière hégémonique, c'est-à-dire sans que ces pratiques et cette définition ne soient remis en question par celles et ceux qui en sont victimes.

En ce sens, les discours de représentation prolétaires qui réclament de l'emploi entérinent l'hégémonie bourgeoise puisqu'ils reprennent sa définition de la valeur économique et ses pratiques économiques sans les discuter. Un peu comme si les drapiers avaient continué à demander des terres à des seigneurs.

On peut parler de dictature de la bourgeoisie aujourd'hui, étant entendu que la bourgeoisie est un rapport de production et non une liste, un annuaire avec une série de noms, d'incarnations de la classe sociale. La dictature de la bourgeoisie ne signifie pas que ce sont des bourgeois purs qui sont aux commandes et ce de manière indiscutée. Cela signifie que les pratiques économiques du rapport de production bourgeois se sont imposées à tous - à l'instar des pratiques économiques de l'aristocratie militaires au Xe siècle. Le rapport à la production bourgeois domine tout - le social, l'environnemental, l'urbanistique, le culturel, l'architecture, les arts, etc. - sans qu'il y ait besoin d'une élite ou d'un ensemble de personnes assimilables à la bourgeoisie au pouvoir.

C'est que une classe sociale, c'est un rapport de production qui traverse des gens, ce n'est pas une série de gens, une liste de noms.

De la même façon, la dictature du prolétariat, ce n'est pas la domination physique, militaire, philosophique ou sociale d'une série de personnes (difficilement qualifiables de "prolétaires" à partir du moment où elles maîtrisent le destin de tous) mais c'est l'hégémonie d'une pratique économique qui s'impose comme la pratique économique bourgeoise s'est imposée sur l'ancien régime.

Cette pratique économique nous traverse en tant que prolétaire, en tant que personne sans titre de propriété contraint de vendre sa force de travail pour vivre. Quelles libertés et quelles définitions de l'économie portent ces parties de nous réduites à de simples outils dans l'économie capitaliste?

La réponse à cette question permet de définir ce qu'est (déjà) et ce que pourrait devenir la pratique économique du prolétariat destinée à devenir hégémonique. 

La production de valeur économique sans employeur

On le sait par le travail de Bernard Friot, la sécurité sociale est le fruit de pratiques prolétaires spécifiques. En Belgique (j'y reviendrai dans une série d'articles à venir), ce sont des caisses noires illégales qui ont permis aux ouvriers de s'assurer contre la maladie et la vieillesse puis contre le chômage. Ces caisses ont été interdites puis tolérées puis rendues obligatoires.

Elles sont devenues les mutuelles. Avec l'avènement de la sécurité sociale, elles sont devenues interprofessionnelles. Les producteurs cotisaient tous à un taux unique pour des prestations semblables.

C'est dire que le prolétariat avait inventé une manière spécifique de créer de la valeur économique. Cette manière était infiniment plus efficace que la pratique économique bourgeoise puisqu'elle ne connaît aucune crise et qu'elle permet de faire les choses par intérêt, par passion et non par cupidité.

Par ailleurs, il y a, dans le mouvement coopératif, des tentatives de produire de la valeur économique sans employeur. Mais ces tentatives ne deviennent politiquement intéressantes que si les coopératives parviennent à se détacher du salaire à la pièce et du rapport de clientèle.

La propriété d'usage

Mais le prolétariat, c'est aussi une relation particulière à l'outil de travail. Les prolétaires l'entretiennent et l'utilisent. De ce fait, nous sommes susceptible de le ménager, d'en prendre soin et de poser les choix de gestion les plus en phase avec cet outil de production.

La dictature du prolétariat, c'est aussi l'hégémonie de la propriété d'usage au détriment de la propriété lucrative. C'est dire que les pratiques économiques sont amenées à changer radicalement sur ce plan-là aussi. Un exemple: Sanofi est une entreprise pharmaceutique avec de nombreux brevets portant sur des médicaments. La logique de l'usage commande d'investir dans la recherche pour trouver des médicaments utiles et de faible nocivité. La logique lucrative commande de sabrer les investissements dans la recherche et à racheter de temps en temps un concurrent en difficulté pour récupérer ses brevets.

La propriété lucrative ne s'intéresse pas à ce qui est fait et comment. Elle veut retirer de la plus-value sans considération pour le reste. Cette pratique nous paraîtra aussi obsolète que le servage le jour où viendra la dictature du prolétariat.

La servitude volontaire

Dans la pratique économique bourgeoise, les prolétaires sont réduits à des êtres de besoins. Ils sont tenaillés par la nécessité et, sous la contrainte, doivent vendre leur force de travail dans une guerre sans fin de tous les prolétaires entre eux pour obtenir des places. La servitude est forcément contrainte sous la dictature de la bourgeoisie - comme elle l'était sous la dictature de la noblesse.
La pratique prolétaire de l'économie, en dégageant les producteurs du salaire à l'heure ou à la pièce, leur ouvre un espace de liberté que seuls les retraités (et certains chômeurs voire certains fonctionnaires) connaissent aujourd'hui. Avoir un salaire quoi qu'il arrive, cela signifie que l'on peut accepter ou non un directeur de projet, un chef, un contremaître. La servitude n'est plus contrainte, elle est le fruit d'une (éventuelle) acceptation par l'intéressé.

Pour autant, si la pression de la nécessité disparaît dans la pratique économique prolétaire, cela ne signifie pas pour autant la fin de toute pression et, partant, la fin de l'histoire et des contradiction d'un état historique donné.

L'avènement de la dictature du prolétariat

Bien malin qui pourrait dire quand et comment adviendra l'hégémonie des pratiques économiques prolétaires. Disons que le temps presse pour toutes ces générations sacrifiées à la queue-leu-leu et pour les dégâts environnementaux de la pratique bourgeoise de l'économie.
Au regard du triomphe de l'hégémonie de la pratique économique bourgeoise, il apparaît néanmoins:
- que la spécificité de la pratique économique révolutionnaire est déterminante (les bourgeois n'auraient pas pu devenir hégémoniques s'ils s'étaient embauchés comme serfs)

- que la modification de l'hégémonie économique s'inscrit dans le temps (très) long

- que les actes portent et importent, qu'il ne s'agit ni de tout attendre d'un effondrement extérieur, ni tout accomplir en en tournemain

- que l'avènement d'une pratique prolétaire de l'économique est largement commencé, que ses réussites sont éclatantes au regard des échecs de la pratique bourgeoise

- qu'il ne s'agit pas de dénoncer tel ou tel, de faire des listes noires avec des victimes expiatoires mais qu'il faut comprendre en nous les différents rapports de production pour faire triompher les pratiques économiques révolutionnaires.