Extrait du Gaffiot p. 1234, disponible en ligne sur Lexilogos |
Mais c'est le sens de mal assuré qui s'est imposé en français moderne.
La précarité est la mise en danger permanente du salaire et du travail concret impliqué dans l'emploi.
La précarité, c'est l'engagement de lemployé corps et âme sans contrepartie de l'employeur.
Ce type de management de masse compromet la santé des employés et les empêche de consentir quelque investissement personnel, familial que ce soit à long terme.
Du point de vue des propriétaires lucratifs, l'absence d'engagement de l'employeur permet d'externaliser les risques de la production sur la main-d’œuvre.
La précarité, pour les employés, c'est d'abord la peur. La peur de la misère, de l'exclusion, de l'oisiveté forcée du chômage.
La précarité, c'est la guerre au salaire, au statut ou à la reconnaissance de la qualification par la peur.
La précarité, c'est le syndrome de Stockholm, la collaboration forcée aux intérêts financiers d'employeurs ingrats.
La précarité, c'est le contre-maître qui exige sans même lever la voix; c'est l'employé(e) qui doit obéir, au bord des larmes, à des heures supplémentaires, à un travail du dimanche, à des horaires coupés au détriment de sa vie de famille.
Concrètement, nous pouvons citer in extenso l'excellent Manuel de prostitution de Terre Noire, écrit par un des précaires (accessible en ligne ici).
Le travail précaire est un phénomène social qui ne peut être compris qu’en relation avec les normes et modèles dominants dans une société donnée. Le travail précaire, est une relation sociale qui met en présence deux types d’acteurs lors d’un échange marchand ; elle est caractérisée par son asymétrie. Les représentations sociales qui sont associées à la personne qui travaille dans des conditions précaires sont dévalorisantes et stigmatisantes. L’employeur échappe le plus souvent à l’analyse. Le/la travailleur/euse précaire par contre est depuis toujours l’objet d’attentions particulières de la part des services sociaux, juridiques, de la police.
La «souplesse» du travailleur précaire ou du chômeur est en soi un fantasme majeur : celui d’une personne «femme ou homme» disponible, c’est-à-dire ne refusant pas un travail quel qu’il soit qu’il suffit de solliciter sur la base d’un contrat évident, connu de tous : le devoir d’échanger sa force de travail contre le salaire le plus bas possible, non accompagné de droits sociaux. C’est ce contrat qui établit le travail précaire. C’est bien sûr un fantasme essentiellement réservé aux employeurs : ce sont évidemment les patrons qui forment la masse énorme des clients du travail précaire.
Au contrat d’un peu «de travail» contre le minimum d’argent possible, les travailleurs précaires ajoutent une clause particulière, généralement ignorée des clients : prendre le plus d’argent possible et se débarrasser du travail le plus rapidement possible, ce qui revient à se débrouiller pour que le travail soit effectué avec le moins d’investissement possible.
La quasi totalité des personnes soumises au travail précaire n’a pas choisi la précarité : à de rares exceptions près, elles ont été contraintes d’une façon ou d’une autre, c’est une donnée indéniable. Parfois, c’est une situation socio-économique qui aura favorisé le passage au travail à courte durée ou un besoin d’argent lié à une situation familiale. De nombreux travailleurs précaires ont besoin d’un produit pour travailler, alcool ou psychotropes. On voit que travail précaire n’a rien d’une attitude «complaisante» ... : la plupart du temps, cette situation socio-économique n’explique pas tout. Souvent c’est la manipulation de la pression sociale et/ou la force, tout simplement, la coercition où les menaces répétées des services sociaux sur la personne et sur son entourage.
Mais qu’est-ce qui peut bien permettre à une personne d’offrir son travail contre si peu d’argent ?
Le décalage entre les aspirations entretenues par la société, notamment l’illusion que chacun a le devoir de réussir la vie qu’il s’imagine et la réalité d’un monde du travail où se livre la plus impitoyable des compétitions expliquent assez bien cette «aptitude». La découverte prématurée de la guerre économique, et notamment du sort cruel réservé aux exclus, à un âge où un enfant «ou un adolescent» n’est pas en mesure de la comprendre va engendrer une représentation très dévalorisée de la notion d’accomplissement personnel par le biais du travail. Parce que le travail est interprété comme rare, parce que la course à la performance développée dès l’école maternelle génèrent honte et culpabilité, l’avenir lui-même est vécu comme quelque chose de menaçant et de terrible, le/la futur»e» précaire s’enfermant dans le sentiment de sa propre responsabilité, face à la rareté du travail.
En outre, comme les conditions de travail des parents de l’enfant ne sont pas respectés par la société même qui est censé les protéger, comme c’est ce même travail qui est responsable de sa souffrance, le travail devient un objet détestable et sans valeur aux yeux du/de la futur(e) précaire qui intègre peu à peu, et parallèlement, l’idée que cette même force de travail est paradoxalement la seule chose qui lui donne un intérêt aux yeux de la société ...
Il est alors possible, non de se vendre, mais de consentir à être utilisé à vil prix à des fins pécuniaires.
Écoutons K. : «Depuis le moment où ma dignité de femme et d’être humain m’ont été volées, je constate que je n’ai de cesse de vivre et revivre à l’infini les mêmes rapports d’abus avec divers employeurs. J’ai été l’assistante de chefs d’entreprise, de cadres rencontrés par le biais de petites annonces de l’ANPE. Je les ai laissés m’utiliser et suis repartie. Et chaque fois, pendant toute l’opération, je n’ai pas prononcé un seul mot, comme si une partie de moi avait accepté l’idée que je ne valais pas plus qu’un morceau de viande qu’une entreprise ou qu’une institution, n’importe laquelle, pouvait utiliser pour des tâches pratiques sous rémunérées. J’étais responsable de la croissance de du chiffre d’affaire, il fallait à tout prix aider à être bénéficiaire. Je ne décrirais pas le nombre de fois où je me suis laissée utiliser par des structures qui ne me plaisaient pas, qui me dégoûtaient ....»