- En économie
Le travail vivant est le travail humain, salarié, au moment où il est presté. C'est notre temps de travail dans les bureaux, dans les usines ou ... en dehors de l'emploi. Petit à petit, ce travail permet de construire des outils de production, des infrastructures - ce qu'on appelle du travail mort - qui permettent ... de rendre le travail vivant plus rapide: un travailleur produit plus de choses par unité de temps.
La technologie unit le travail mort, le travail vivant accumulé et transformé en machines, en outils de production, l'automatisation des connaissances et le travail vivant.
Connaissance
Dans toute production - aussi "primitive" soit-elle, le travailleur, l'humain mobilise des savoirs, des savoirs-faire, il construit en travaillant une connaissance propre aux besoins de sa production en terme de travail concret, d'actes de travail incarnés. Ceci vaut aussi bien pour la programmation de jeu en ligne que pour la taille du silex.
La mémoire humaine crée alors des séquences, un "savoir mort" en tout point comparable au "travail mort". Le savoir, les savoirs faire s'accumulent dans les potentiels des travailleurs ce qu'atteste (de manière parfois maladroite) la notion de qualification. À l'extrême, comme dans le taylorisme, le savoir devient protocole et ... congédie le producteur de la sphère de la connaissance dans sa production.
Du point de vue anti-employiste, cette ossification du savoir, des savoirs-faire dans la qualification offre une brèche dans l'esclavagisme de l'emploi puisque c'est de facto le travailleur qui détient le potentiel de production indépendamment de la reconnaissance sociale par les patrons de ses capacités productives.
- Résistances et utopies technologiques
La technologie a connu et connaît des résistances très fortes: la qualité de ce qu'elle produit est sujette à caution (voir l'agro-industrie) et les innovations technologiques condamnent au chômage les ouvriers qualifiés remplacés par des machines (voir notre article sur le luddisme).
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Primitiviste
On mentionnera les primitivistes qui considèrent la révolution industrielle comme une aliénation de la bonne nature humaine. Sans remonter à la nuit des temps, le mythe du bon sauvage était déjà cher à Rousseau au XVIIIe. Cette pensée a une limite: comment expliquer que l'humain, créature naturellement bonne, accouche de la culture et de l'industrie, invention intrinsèquement mauvaises? Il y a certes eu la violence militaire répétée de l'enclosure pour chasser les communautés de leurs biens partagés mais cette violence a été perpétrée par des humains "naturels" - parfois bien intentionnés.
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Ellul et la société technicienne
Jacques Ellul a étudié la société actuelle comme une société technicienne. La technique y résout des problèmes qui ne s'y posent pas et en crée d'autres, insolubles. Par exemple, la voiture accélère les déplacements mais son succès-même engorge les voies de circulation et la rend moins rapide qu'un honnête marcheur ou la médecine augmente l'espérance de vie, ce qui crée une surpopulation, des populations destinées à périr dans les famines, les guerres, etc.
Du point de vue de l'anti-emploi, la question de la technique comme problème éclaire un aspect de notre vécu de travailleur dans l'emploi et hors de l'emploi: nous sommes broyés par un système dont la logique nous échappe mais la relation d'asservissement de l'emploi, la minorité économique peuvent aussi bien se croiser dans des sociétés non techniciennes.
D'autre part, la frontière entre le technique et le non technique est flou. Un piano est technique, une partition ou un texte sont des techniques, il y a des techniques pour allaiter ou pour produire du lait en poudre pour les nourrissons ... Ce flou disqualifie quelque peu le concept de société technicienne même si nous pressentons qu'il y a quelque chose de profondément vrai: avec le nucléaire s'invente la catastrophe nucléaire, avec le train s'invente le déraillement et avec l'organisation technologique du travail s'invente la prolétarisation des travailleurs.
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Simondon et la question du travail concret
L'économie est l'articulation entre le travail concret et le travail abstrait, la violence sociale contenue dans la production. En tant que travailleurs, la technique nous intéresse au premier chef en ce qu'elle affecte le travail concret. La technique peut s'utiliser quand nous jouons du piano ou quand nous donnons le sein à un nourrisson pour reprendre mes exemples ci-dessus.
Simondon a avancé une manière de penser qui peut nous permettre de sortir de l'impasse. Il explique que l'individuation du sujet se fait au moyen de techniques, de méthodes, de processus inventés et que ce sujet s'individualise dans la mesure où il crée des techniques, des façons de faire, des objets, dans la mesure où il interagit avec son environnement. Ceci pose le problème d'une manière plus appropriée en terme d'anti-employisme: le travail concret qui permet, qui est le siège de la créativité du travailleur lui permet de s'individualiser alors que le travail concret du travailleur qui le contraint à répéter un acte ou une séquences d'actes ne lui permet pas l'individuation le tue en tant qu'être vivant, c'est-à-dire, pour Simondon, en tant qu'être qui s'individue, qui est en équilibre métastable, susceptible de se renverser instantanément, avec son environnement.
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Venus: la technique résout les problèmes
Par contre, dans une utopie comme le projet Venus (voir les web-documentaires de Zeitgeist), la technologie amène une réponse à tous les problèmes humains alors que, jusqu'ici, la technique a résolu des problèmes qui ne se posaient pas pour l'humanité tels que le maintien du taux de profit et n'a pas résolu des problèmes qui se posaient tels la sauvegarde de la biosphère ou la faim dans le monde.
Cette position fait l'impasse sur trois limites de la technologie:
1- Le système économique n'est pas en crise du fait qu'on ne produit pas assez mais du fait que ce qu'il produit ne trouve pas de débouchés. Nous sommes en crise de surproduction: les marchandises ne trouvent pas preneurs parce que les salaires sont déprimés, les salaires sont déprimés parce que, face à la concurrence, pour sauver (et augmenter) les marges, les propriétaires sont poussés à diminuer les frais de production.
2- Le travailleur ne produit pas des produits mais de la valeur ajoutée. En augmentant le nombre de produits manufacturés, on n'augmente pas la valeur ajoutée globale produite: on produit davantage de choses à un prix moindre. Pour augmenter le PIB, pour avoir quelque chose qui ressemble à une croissance économique, il faut que la valeur ajoutée augmente et non le nombre de bidules produits.
3- La technique gère l'énergie, elle l'utilise mais ne la crée pas. L'hydrogène, par exemple, est un formidable moyen pour stocker l'énergie - un peu explosif tout de même - mais n'apporte pas d'énergie. La question du pic pétrolier, de la raréfaction des ressources énergétiques et des matières premières n'est pas résolue par les nanotechnologies, par les imprimantes 3D ou par les robots autonomes.
Entre ces deux positions technophobes et technophiles, on entend bien souvent des économistes réclamer un revenu universel, une rente de situation universelle du fait de l'augmentation de la productivité.
La question de la distribution de la valeur ajoutée se joue au niveau de l'intégration dans les prix des marchandises de l'activité non capitaliste (fonctionnaires, chômeurs, retraités, etc.) pas de la quantité de machins qui sortent des usines: il y en a de toute façon trop comme l'atteste l'invasion de la publicité. La technique augmente la production de choses par unité de temps, pas la valeur ajoutée. C'est donc par choix politique qu'il faut assumer une redéfinition de la valeur ajoutée, c'est-à-dire augmenter la part salariale socialisée dans cette valeur ajoutée et non par contrainte, du fait que nous produisons plus vite les mêmes choses.
Le fait de produire davantage dans le même temps augmente les besoins sociaux, les pratiques sociales normalisées sans diminuer en rien les clivages sociaux d'une part et, d'autre part, sans affecter en rien les relations de travail. On notera que le temps de travail n'a pour ainsi dire pas diminué en Europe ces soixante dernières années alors que la mécanisation permettait d'inonder le vieux continent de marchandises.
- Dans la production
Le travail vivant combine, de manière intrinsèque, un temps humain mobilisé qui crée la valeur ajoutée et la connaissance qui tempère la concurrence et permet de créer davantage de valeur via la qualification sanctionnée par le salaire.
Les investissements technologiques viennent d'une production excédentaire des travailleurs dont se sont emparé les propriétaires de l'outil de production. L'investissement technologique est un surtravail, une partie de la production des travailleurs qui leur est volée. Cette technologie se retourne contre les travailleurs qui l'ont créée puisqu'elle permet de diminuer la main d’œuvre pour une même production.
Le fantasme de robots sans main d’œuvre n'a pas lieu d'être: il n'y aura pas de robot sans programmateurs, sans techniciens pour les entretenir, sans extraction de matières premières pour les fabriquer et pour produire l'énergie qu'ils consomment.
La main d’œuvre, dont le salaire est la source de toute valeur ajoutée, ne disparaît pas avec la technologie: elle change de métier (les manœuvres entretiennent les machines ...) et diminue ...
- en quantité absolue, ce qui pose un problème de surproduction, de débauchés puisque les salariés se font rares (et miséreux) pour acheter les productions des usines
- en quantité relative, par rapport au travail mort, aux infrastructures de production, aux outils.
- Technologie et crise
Le rapport entre le travail vivant (temps humain sanctionné par les salaires) et le travail mort (les infrastructures au sens très large, les outils de production) constitue ce qu'on appelle la composition organique du capital. Avec l'irruption de la technologie, la composition organique du capital évolue de manière dramatique: la marginalisation des salaires par rapport aux outils de production ne permet plus à l'activité économique de trouver des marchés, c'est la crise de surproduction.
Faute de salaire, la technologie ne trouve pas débouché. Elle s'impose du fait de la concurrence et participe aux cycles de surproduction capitaliste en en étant le vecteur, en étant l'incarnation de la concentration, de l'accumulation de travail mort, de capital dans la production.