Quand Roland Gori parle de personnalité as if (comme si) dans le monde de l'emploi, il fait allusion à un phénomène bien particulier. Quand on demande de montrer une joie au travail, une soumission sans faille à des objectifs qui changent de nature, on aboutit à des personnalités dénuées de toutes propriétés, de tout caractère, de toute histoire, de toute subjectivité.
Ces personnalités sont générées par les impératifs de production de l'emploi régi en marché. Pour pouvoir s'adapter aux nécessités du marché, aux exigences de savoir-être de la production économique, au service du client, de la marchandise quels qu'ils soient, on ne peut conserver le moindre attachement à quelque trait, à quelque spécificité que ce soit.
Qu'il s'agisse de l'homme sans qualité de Musil, de l'homme liquide de Baumann, l'idée de ce nouvel être correspond au fond aux traits qu'en dessinent les sociologues libéraux: l'homo oeconomicus est une fiction propre à obéir à n'importe quel ordre, à n'importe qui, pour qui l'acte n'a pas de finalité en soi mais sert de vecteur de réalisation à la réalité économique, matérielle de l'emploi.
Le management entend créer cet homme as if, comme si, comme s'il n'avait pas de qualité intrinsèque, que ses désirs devenaient miraculeusement ceux du mode de production régi par le marché, comme s'il n'avait pas de penchant, d'envie, de peur, de croyance propre. Comme si, aussi, cet homme était isolé, sans monde, sans lien, sans parents, sans amis, sans confident.
Ceci correspond à l'idée de qualifier un poste et non une personne - comme si l'être sans qualité était éminemment remplaçable pour des fonctions qui, elles, dans leur productivité vénale, sont dotées de qualités.
Cette personnalité as if demeure utopique. Néanmoins, les dégâts de cette utopie sont visibles: elle construit les personnalités psychopathes et sociopathes par la désubjectivation, par l'absence totale de tout attachement, par l'absence de tout scrupule qu'implique sa mise en pratique.