Cette acception, cette sacralisation de la propriété privée n'allait pas du tout de soi, elle privait les manants de ressources, de moyens de survie disponibles et les condamnait à la misère dans un pays de forêts giboyeuses (voir E.P. Thompson, La Guerre des forêts, La Découverte).
Sur ce livre et ce sujet, nous vous recommandons les notes de lecture de Zones Subversives (ici) dont nous vous partageons cet extrait:
En 1723, le Black Act est adopté en Angleterre. Cette législation défend la propriété privée et réprime la chasse et diverses activités.
Une bureaucratie forestière fait appliquer la loi, tout en défendant ses intérêts propres. Mais les paysans organisent une résistance collective pour garder le contrôle des terres contre les riches seigneurs qui se les accaparent. Les paysans n’hésitent pas à s’approprier le bois qui se trouve sur les terres qui ne leur appartiennent pas. Une bande de braconniers s’organise pour pouvoir prendre des animaux et riposter face aux gardes chasse. Les Blacks, amenés par le « roi Jean », incarnent la résistance populaire face au pouvoir féodal. « En 1720-1722, le parc de l’évêque fut attaqué à plusieurs reprises, sa horde de cerfs fut décimée, ses maisons brûlées, son bois détruit, et l’on fit feu sur son bétail », décrit Edward P. Thompson.
Les Blacks s’apparentent à des justiciers qui tranchent les litiges qui concernent les droits sur le bois, le pâturage et la pêche. Ils détruisent les forêts lorsque les seigneurs interdisent les paysans de prendre du bois. Mais une simple menace suffit à faire plier le pouvoir des propriétaires. Le « roi Jean » est même comparé au légendaire Robin des bois. « Le ressentiment accumulé pendant des décennies le protégea, lui et sa bande, ce qui lui permit de se déplacer au grand jour et de faire régner une justice du peuple », souligne Edward P. Thompson. Ces rebelles sociaux diffusent des pratiques de résistances individuelles. Des braconniers, des voleurs, des contrebandiers, des pêcheurs et des forestiers n’hésitent plus à enfreindre l’autorité féodale.
Mais le gouvernement royal s’attache à réprimer les Blacks. Non seulement pour leur action, mais aussi car ils peuvent devenir une force politique. « Les Blacks, pendant une année oui deux, avaient joui du soutien des communautés forestières, comme les Luddites, plus tard, jouiraient du soutien de celles du textile », observe Edward P. Thompson. Le Black Act permet alors d’imposer une répression judiciaire particulièrement dure. Il s’agit de faire des exemples pour dissuader les paysans de commettre des actions illégales. « Ce dont témoignait le Black Act, c’était le long déclin de l’efficacité des méthodes anciennes de contrôle et de discipline de classe, et leur remplacement par un moyen standard d’autorité : l’usage exemplaire de la terreur », analyse Edward P. Thompson.
Malgré sa neutralité affichée, la législation défend surtout une politique de classe pour protéger les possédants. Les droits et la satisfaction des besoins des pauvres deviennent des crimes : braconnage, vol de bois, violation de propriété privée. La loi permet de légitimer la société de classes. « Mais l’inégalité décisive résidait dans l’existence d’une société de classes, où les droits d’usage non monétaires étaient réifiés, par l’intermédiaire des tribunaux, en droits de propriété capitalistes », analyse Edward P. Thompson. Le conflit forestier oppose les utilisateurs aux exploiteurs.