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L'employisme peut aussi se comprendre du point de vue médical.
Vous êtes inquiets pour un de vos proches ou pour un personnage public dont le discours atteste une dérive employiste. Il pourrait effectivement être atteint du syndrome. Pour vous aider à faire le point, nous sommes en train de mettre au point un protocole qui permette un diagnostique sûr. Nous vous recommandons de consulter pour les cas les plus graves. Il ne s'agit pas encore d'une démarche clinique avérée mais plutôt d'une tentative de compréhension du phénomène. Les doubles aveugles et les témoignages des thérapeutes viendront progressivement compléter et amender ce premier jet.
Avant toute chose, il importe de ne pas juger les malades mais de les entourer, de les aimer sans jugement, de les aiguiller sans a priori sur un chemin de guérison (de petites promenades, de la vie de famille, de l'empathie). Il importe aussi de distinguer les victimes d'employisme et les gens qui travaillent sous contrat d'emploi – ces deux catégories n'ont rien à voir: les gens doivent prendre un emploi parce qu'ils souhaitent être actifs et/ou qu'ils doivent gagner un salaire pour payer leurs besoins, ceux de leur famille.
1. Rancoeur : dévalorisation des non-employés. Le patient se plaint des performances, du poids des gens hors du joug de l'emploi. A ce stade, une vie affective épanouie, un investissement dans des actes concrets devraient rapidement remettre le malade sur pieds.
2. Absence d'idéal du moi et dénégation d'imago sociale alternative : valorisation du 'travail' (comprendre de l'emploi), de l'importance de signer un contrat d'emploi, de soumettre les actes et les activités professionnelles à un cadre dysfonctionnel
3. Glossolalie : répétition des discours idéologiques en faveur de l'emploi, identification répétitive de l'emploi au salut, au bonheur
4. Perversion : dévalorisation du sujet hors emploi ou des sujets sous une autre forme d'emploi ou sous un certain type d'emploi (fonctionnaire, jeunes, etc.). Pour l'employiste, il ne s'agit pas d'amener un changement chez les stigmatisés mais de transférer ses défaillances narcissiques, son surmoi hypertrophié et son deuil oral inachevé sur un bouc émissaire. Le recadrage s'impose même s'il plonge le malade dans la dépression refoulée par la perversion – cette dépression peut amener une résilience sinon impossible.
5. Paranoïa annale : l'argent est la maîtrise et le malade blâme les gens (sujets) de grever cette maîtrise (objet). Il s'agit d'un contre-transfert exotique où l'objet transitionnel (l'argent, le statut social, palliatif du manque d'existence narcissique) prend la place du sujet. Cette confusion se double d'une crainte d'agression, elle pose le possédant comme victime des sans-travail.
6. Schizophrénie délirante : là, nous sommes très très haut dans l'employisme. Les problèmes se créent et, avec eux, les solutions les plus catastrophiques. Il faut toujours rappeler aux sujets délirants que l'important, c'est l'humain, que l'économie est ce qui sert les besoins humains et qu'elle n'est pas le but de l'humanité. À ce stade, un effondrement du sujet peut, seul, le sauver après un deuil très long, très douloureux. Les sujets arrivés à ce stade sont susceptibles de somatiser, leur santé est éventuellement menacée.
7. Auto-perversion ou retournement du déficit narcissique contre soi : le malade renonce alors à ses loisirs, à sa vie de famille, il tient des discours incohérents (genre : 'je vais travailler pour pouvoir être avec toi'). À ce stade, les comportements morbides, auto-mutilants se reproduisent, se multiplient. Le diagnostique est réservé, le patient est en danger.
8. Délires hallucinatoires, 'folie des grandeurs'. Le patient cesse alors de stigmatiser, il est pris dans des activités qu'il réprouve. Il s'agit alors de pulsion de jeu, de frisson de risque. Les traders constituent un bel exemple. Le moi est dissout, le surmoi est en lambeau, les comportements sociopathes sont à craindre. Le sujet ne connaît alors plus de limite à ses actes. Son moi est remplacé par une machine à obéir à la logique employiste. Il n'y a plus de reste, de passion, de volonté. Sa santé se dégrade, il doit rapidement être pris en charge par les organismes de sécurité sociale publiques.
9. Psychopathie : à ce stade, au nom de l'emploi, le sujet tue, dégrade l'environnement, pousse ses collègues ou ses proches au désespoir. Ses comportements compromettent sa survie, celle de ses proches, de son espèce et de son biotope. À ce stade, nous avons affaire à des comportements nuisibles, dangereux pour la société. À mon sens – mais je demande l'avis d'experts – il faut marquer les limites pour que les dégâts ne prennent pas une dimension trop importante.