Société

Nous ne parlerons pas du mot société utilisé dans le sens de compagnie capitaliste détenue par des propriétaires lucratifs dont le but est de faire des profits.

  • Définition

Le mot société vient

du latin societas : association amicale avec d'autres et socius : compagnon, associé, camarade. Le mot latin est un dérivé du grec socus, terme qui implique un contrat social entre les membres de la communauté (Wikipédia).

  • Société et emploi

Il y a deux dimensions dans le travail.

- Le travail concret, ce qu'on fait effectivement: si je travaille à Amazon, je transporte des cartons

- le travail abstrait, la reconnaissance sociale du rôle économique que je remplis: dans le cas d'Amazon, il s'agit de mon grade, de mon salaire, de la qualification du poste, des horaires, etc.

Le travail abstrait est l'objet de la lutte de classe. Il s'agit de déterminer ce qui vaut et ce qui ne vaut pas. La violence sociale du travail abstrait va structurer la légitimité des activités (éventuellement concrètes) et, partant, des acteurs économiques. C'est la violence sociale, le travail abstrait qui légitime le fait que le patron d'Amazon gagne plus que le manutentionnaire de cette compagnie.

La violence sociale est ce qui s'oppose à la société comme ensemble d'alliés. Alors que la société pose l'harmonie du vivre ensemble, la violence sociale crée la dissociété, la force de changement qui accouche de changements dans cette société. C'en est la force centrifuge.

Les dominants tentent de naturaliser les faits sociaux à l'origine de leur domination (les marchés, c'est la nature, TINA, etc.) alors que les dominés doivent inventer, créer une narration alternative du travail abstrait, de la violence sociale pour modifier le rapport de force à leur avantage.

On peut voir l'histoire de toute société comme l'équilibre entre les forces centripètes - les forces de cohésion sociale, se référant à l'identité, à la nature ou la morale - et les forces centrifuges de la violence sociale porteuses de devenir, de changement de la domination sociale, de la société.
  • Société et pouvoir (Clastres)

Logiquement, Pierre Clastres oppose la société au pouvoir (et à ce qu'il considère comme son incarnation, l'État):

Quand dans la société primitive, l'économique se laisse représenter comme champ autonome et défini, quand l'activité de production devient travail aliéné, comptabilisé et imposé par ceux qui vont jouir des fruits de ce travail [ce que nous appelons les propriétaires lucratifs], c'est que la société n'est plus primitive, c'est qu'elle est devenue une société divisée en dominants et dominés, en maîtres et sujets, c'est qu'elle a cessé d'exorciser ce qui est destiné à la tuer: le pouvoir et le respect du pouvoir. La division majeure de la société, celle qui fonde toutes les autres, y compris sans doute la division du travail, c'est la nouvelle disposition verticale entre la base et le sommet, c'est la grande coupure politique entre détenteurs de la force, qu'elle soit guerrière ou religieuse, et assujettis à cette force. La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d'exploitation. Avant d'être économique, l'aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l'économique est une dérive du politique (Pierre Clastres, La Société contre l'État.)
 Ce que l'anthropologue nomme l'État naît sur les décombres de la société. Alors que l'État est l'incarnation - militaire et morale - du pouvoir, d'autres forces étaient en jeu dans la société qui l'a précédé.

Ces forces centripètes sont de nature éthique, ce sont les us et les coutumes, les façons de faire (voir la culture) qui construisent le contrat social des groupes humains avant l'ère du pouvoir dont l'emploi est l'incarnation actuelle la plus emblématique.

 Durkheim voyait le premier type de société (ce que Clastres nomme 'société) comme une société traditionnelle aux solidarités mécaniques et le second type de société (ce que Clastres nomme l'État) comme une société moderne aux solidarités organiques. Son point de vue est nettement moins défavorable aux sociétés contemporaines mais opère la même distinction entre deux étapes de civilisation. Il ne s'attarde pas sur la question du pouvoir, centrale de notre point de vue, dans une perspective d'émancipation de l'emploi.

  • Champs sociaux de reproduction sociale (Bourdieu)

Bourdieu parle de champs sociaux. Le champ social est déterminé par les pratiques sociales signifiantes lesquelles sont construites par l'habitus, la détermination sociale des goûts, les pratiques culturelles. Au sein de tous les champs sociaux, on retrouve des dominants, des dominés et un combat pour la domination (à l'exemple de la lutte des classes).

Cette structuration de la société en champ permet de reproduire les structures de domination, elle permet la stigmatisation, le racisme social. Cette stigmatisation permet l'entre-soi des détenteurs de capital, elle leur permet de coopter leurs pairs et de conserver le pouvoir sans se voir menacés par quelque nouveau-venu. Les affinités sont structurées par l'inconscient social: les codes culturels, les goûts trient les personnes que l'on va fréquenter et deviennent des outils de reproduction sociale très efficaces. On peut reprocher à cette pensée un déterminisme menant à l'impuissance.

  • La pensée de la révolution, le matérialisme social

Le déterminisme de Bourdieu fait écho au marxisme ou au matérialisme dialectique qui considèrent la société comme une superstructure, comme une émanation d'une structure plus fondamentale, les rapports matériels de production. Ce déterminisme n'est pas nécessairement inscrit dans une perspective fataliste: la logique dialectique, la conscience d'elles-mêmes des classes sociales leur permettent de devenir des acteurs d'un changement de la société.

 Les enjeux de changements se posent alors aux niveaux

- de l'analyse, du découpage, de la définition des acteurs sociaux eux-mêmes

- de la conscience d'elle-même d'une classe qu'en propose l'analyse sociale

- de l'horizon politique (et stratégique) que propose une définition auto-consciente

- du degré de changement proposé dans l'analyse. S'agit-il de changements 1 (adapter les structures dysfonctionnelles, les rendre plus justes, plus efficaces, diminuer l'oppression de la classe en réflexion) ou de changements 2 (changer le mode de fonctionnement de la société, la façon de percevoir les problèmes ou d'énoncer les solutions).

  • Il n'y a plus de société (Baudrillard)

Pour le sémiologue français, la société a disparu non du fait d'échecs ou de disparition du sens mais, à l'inverse, du fait de ses succès. C'est l'excès de sens qui transforme les luttes politiques en brouhaha inintelligible, c'est l'excès de  liberté qui rend l'acte inutile, etc. Le corps social fonctionne alors comme une gigantesque masse qui assimile, qui incorpore et, finalement, digère en ne laissant rien, tout ce qui ressemble à un sens, à un message.

En termes physiques, on dirait que l'entropie, le nivellement de l'énergie, est devenu optimal et que, avec lui, tout est devenu indifférencié.

Cette thèse fait tout de même l'impasse sur de réelles divergences sociales, de réelles cassures, de réelles luttes sociales, mais elle révèle les impasses du monde du message, du spectacle mis en scène par les médias: on peinerait à y trouver quelque société, quelque lutte sociale que ce soit tant on y est submergés d'insignifiant.