Avant toute chose, je me souviens d'un pays en guerre, je me souviens d'amis disparus sans qu'on sache où, quand, comment ... Je me souviens des larmes d'une mère devant la tombe de son enfant, je me souviens du regard perdu du père, des larmes de l'amie, des cris des villageois, je me souviens des barrages, des barrières, des contrôles, des réfugiés, des camps, de la misère, des impacts de balle, des poètes maudits. Je me souviens de ceux qui se battent pour la vie, de ceux qui se battent pour les leurs, de ceux qui ne se battent plus.
La guerre c'est d'abord cette réalité-là, cette fille de la construction patiente de l'autre, de la haine de l'autre. Elle révèle les pires et les meilleurs côtés d'une humanité fragilisé par son intimité quotidienne avec la mort. La guerre, c'est quand "ça n'arrive plus qu'aux autres", la guerre, c'est l'ami mort, c'est le frère mort, c'est la sœur morte, c'est le fils ou la fille morte, c'est la mère et le père inconsolables, la peur de la bombe - il n'y a pas d'autre guerre, le reste est littérature.
- La guerre économique
C'est la mère de toute les guerres.
C'est elle qui fait la guerre aux salaires - contre les travailleurs dans l'emploi et hors de l'emploi et pour les profits des actionnaires; c'est elle qui fait la guerre pour accaparer les ressources naturelles et c'est elle enfin qui fait tourner le complexe militaro-industriel à plein, transformant les impôts en profits.
Il s'agit d'utiliser les prérogatives de la propriété lucrative pour mettre les travailleurs en concurrence. Il s'agit, pour les propriétaire de
- forcer les travailleurs à baisser leurs exigences salariales (faute de quoi, les propriétaire choisissent d'autres travailleurs, moins chers, pour occuper les postes que ces propriétaires qualifient à leur guise).La guerre se mène aussi entre la pratique salariale de la valeur - le mode de production des chômeurs, des retraités et des fonctionnaires et sa pratique capitaliste. Dans les médias, on stigmatise les formes de vie éloignées d'une vente de force de travail à des employeurs propriétaires. Les marginaux ou les pauvres sont vus comme des classes dangereuses, les fonctionnaires comme des parasites inutiles, les chômeurs comme un poids social, les malades comme des fraudeurs, etc. Derrière cette guerre de mot, derrière ce racisme social, il y a des existences précaires, nous sommes des êtres humains qui souffrons le rejet, le stigmate mais nous avons tant à faire ...
- forcer les travailleurs à diminuer leurs exigences en terme de conditions de travail (sécurité, représentation syndicale ou horaire)
- faire payer les salaires par les contribuables (mais, à l'extrême, quand tout le monde aura un salaire payé par l'impôt, il n'y aura plus personne pour payer l'impôt)
- faire payer les coûts de production, les consommations intermédiaires par les contribuable
- faire payer les impôts qui financent l'externalisation des coûts par les travailleurs, par les salaires, par les dépenses de consommation
- généraliser le salaire à la force de travail en déqualifiant le travailleur puis même le poste, en dénonçant les conventions collectives au profit d'un salaire à la pièce
La guerre se mène aussi dans l'enclosure, dans l'appropriation lucrative de ressources communes - que ce soit des ressources agricoles, foncières, culturelles, techniques, scientifiques, halieutiques importe peu. Nous nous retrouvons exilés sur notre terre à devoir demander la permission pour continuer à vivre.
La libre-concurrence jettent tous les producteurs dans une guerre à mort entre eux. Ils se font la guerre sur leurs salaires, sur leurs cotisations sociales, sur leurs services publics. L'intérêt de tous les travailleurs est le même: passer à une autre pratique de la valeur, socialiser la valeur ajoutée et se débarrasser du carcan de l'emploi sur le travail mais ils doivent s'opposer entre eux pour survivre. Cette guerre est la plus féroce, ce sont des délocalisations ici, une usine qui saccage les nappes phréatiques d'une communauté indigène là, ce sont des salaires en berne partout et un chantage au chômage partout, une dégradation des conditions de travail et de la dignité des travailleurs dans l'emploi et hors de l'emploi.
Derrière cette guerre des travailleurs entre eux se cache la guerre des propriétaires, des riches contre celles et ceux qui doivent vendre leur travail pour vivre. De la même façon, dans les tranchées, la guerre n'opposait pas Allemands et Français mais généraux et fantassins.
- Les tranchées
Un article du Guardian nous rappelle les enjeux économiques de la première guerre mondiale. Les guerres sont avant tout les symptômes de la guerre sociale en cours pour l'accaparement des ressources; elles sont la partie émergée de l'iceberg de l'exploitation de l'homme par l'homme au nom de la propriété lucrative.
Extrait (nous traduisons)
"Contrairement à la seconde guerre mondiale, le bain de sang de 1914-18 n'était pas une simple guerre. C'était un pillage industriel sauvage perpétré par un gang des pouvoirs impériaux coincés dans une lutte à mort pour capturer et s'accaparer des territoires, des marchés et des ressources."
À toute guerre, il faut poser la question: "cui bono?", à qui profite le crime. Et qui en est victime, qui étaient les poilus crevant sur pied, de peur, d'humidité? Qui a fait des affaires avec la guerre, qui en a profité? Pour qui a-t-on abattu les soldats qui refusaient de se battre contre leurs frères de l'autre côté?