Extrait de l'article de Nicolas Santolaria dans le Monde (ici)
Reconnaissons au moins ce mérite au monde du travail : il produit des pathologies professionnelles sans cesse renouvelées, résultant du caractère protéiforme des tortures qui sont infligées au salarié. Cousin éloigné de l’antique bûcher, le burn-out, cette « consumation » par excès d’investissement, est désormais entré dans le langage courant. Le mail professionnel reçu à 1 heure du matin – et auquel on se sent obligé de répondre – participe de cette dynamique crématoire qui finira par transformer l’employé trop zélé en petit tas de cendres fumantes.
Si, en revanche, votre entreprise ne vous donne rien à faire, vous risquez alors d’être aspiré dans un tourbillon de vacuité que l’on nomme le bore-out. Nous ne sommes pas loin, dans ce cas, d’une forme de réinterprétation des oubliettes médiévales, où l’on tentait vainement de tromper l’ennui en jouant au morpion avec les os de ses prédécesseurs.
A côté de ces deux formes chatoyantes de négation de l’individu, par le feu de l’hyperactivité et par le rien, il faut en ajouter une troisième, qui émerge aujourd’hui telle une nouvelle évidence. Son nom ? Le brown-out. Cette baisse de courant psychique peut être envisagée comme une sorte de dévitalisation provoquée par l’absurdité quotidienne des tâches à accomplir.
Pour faire face à cette crise de sens, une piste s'impose: dissocier le nécessaire salaire régulier et le travail concret ou, pour reprendre la terminologie allemande, dissocier le "Lohn" de l'"Arbeit" dans le Lohnarbeit. Ou encore abolir l'emploi et le dépasser.Au cœur de cette forme réactualisée d’écartèlement psychique, la perspective d’un salaire régulier finit par entrer en opposition avec le caractère rebutant des missions qui vous sont confiées. Mettre la pression sur les échelons inférieurs comme si vous étiez un garde-chiourme du bagne de Cayenne, travailler pour un client dont vous savez pertinemment que l’action produit un effet néfaste sur la marche du monde, se prosterner devant les chiffres et favoriser ainsi l’avancée de cette froide logique statistique devenue étalon existentiel : les occasions de participer à l’édification d’un monde qu’on exècre sont légion en entreprise.