Consommation, Puissance, Hubris

  • Réflexions sur la consommation, le désir et l'humain inspirées de Spinoza et de Simondon.
Il est difficile d'imaginer que la consommation soit naturelle. Si c'était le cas, nous aurions épuisé nos ressources depuis belle lurette. Parallèlement, il également difficile d'imaginer que la pratique de la consommation n'ait pas un fondement naturel sans quoi elle ne rencontrerait aucun succès. Les publicitaires de tout poil s'égosilleraient en vain pour stimuler les désirs des masses amorphes au milieu de sociétés austères, économes et prudentes.

En admettant ce point de départ - la consommation n'est pas naturelle mais a un fondement naturel - nous pouvons réfléchir à ce qui amène à consommer. L'achat répond forcément à un désir. Comme la consommation a un fondement naturel, c'est au niveau de ce désir que nous devons situer le fondement dévoyé de l'appétit, de l'hubris de consommation.
Note sur l'hubris (ὕϐρις / húbris en grec ancien, la démesure) - d'après Wikipédia.
L'hubris était un crime pour les anciens. Ce sentiment violent était inspiré par la passion, par l'orgueil. La démesure, la volonté sans limite de l'hubris s'opposaient à la voie moyenne, à la mesure entre les extrêmes. Elle amenait au viol, à la violence contre les personnes ou 
Un être humain dans un environnement veut le modifier pour le rendre conforme à ses besoins, à ses envies. S'il a froid, il va couper du bois et le brûler pour se chauffer; s'il a faim, il va tuer du gibier ou cueillir des baies pour se sustenter. Le désir - que l'origine en soit des besoins ou des envies - construit une série d'actes posés par des sujets désirant. Les sujets peuvent être indifféremment des individus, des groupes, des tribus, des familles, etc.

Par le moteur du désir, le sujet pose des actes de transformation du monde. L'ours rend le monde "plus ours", le lapin "lapinise" le monde et l'humain l'humanise. L'humanisation du monde est donc portée par un désir, elle devient acte singulier et construit les sujets. Ce sont les personnes qui désirent et posent les actes et, par leur désir et par leurs actes, ces sujets deviennent, ils adviennent en tant que sujets.

L'acte du désir singularise le sujet individuel ou collectif, il affecte le monde et fait advenir le monde et le sujet en tant que monde et en tant que sujet.
Pour autant, si la consommation s'inscrit dans la même envie d'humanisation du monde, elle ne l'affecte pas en tant que monde et n'affecte pas le sujet en tant que sujet. Elle affecte le monde, les producteurs, les ressources naturelles, comme des éléments étrangers sans lien. Elle affecte le monde comme absence. Elle affecte le sujet dans son hubris, dans sa passion de possession, d'accaparement ou de contrôle des choses. Elle affecte le sujet en tant qu'être de pouvoir, en tant qu'être de domination et de contrôle, en tant que psychopathe sans lien au monde, en tant que sociopathe sans lien à l'autre, en tant que vouloir sans résistance. Elle n'affecte pas le sujet en tant que sujet.

Si l'on admet tout ce que nous venons de dire précédemment, il appert que la consommation est au départ un désir de singularisation du sujet et d'humanisation du monde qui échoue forcément en tant que tel. L'on peut considérer la consommation comme un ersatz ou comme une aliénation mais, de toute façon, la consommation est impuissante à étancher les pulsions à son origine. Le sujet n'est pas singularisé par la consommation et, pire, le monde n'est pas humanisé par la consommation.

Le désir de vie, de devenir, de prendre une place dans le monde, d'interagir ne peut être assouvi par l'acquisition de biens, de services, de trucs, de bidules. Faute de transformer le monde, faute d'agir sur le monde le consommateur le pourrit, le salit, le pille sans aucun profit psychique.

Il ne s'agit pas tant de juger ou de jauger la consommation mais bien plutôt de comprendre pourquoi et comment elle fonctionne. Comme les pulsions de vie, de transformation du monde à l'origine de l'acte et de son ersatz dans la consommation ne sont pas rencontrées par la consommation, cette consommation demeure indispensable aux consommateurs quels que soient leurs antécédents. Même après avoir consommé, le besoin de consommation demeure intact puisque la consommation n'a pas résolu, n'a pas apaisé les manques, les aspirations qui sont à son principe.

Le consommateur peut accumuler du pouvoir sur les choses ou sur un monde réifié. Il ne peut rencontrer son besoin humain (et animal, et vivant) de puissance, de capacité à devenir, à faire advenir.

En ce sens, la consommation est profondément anxiogène puisqu'elle ne répond pas aux besoins qui la portent et, pire, fait des promesses captieuses. Elle prétend assouvir alors qu'elle ne fait rien pour étancher la soif de devenir, de vie.
Pire, comme le temps libre n'est pas infini, le consommateur qui passe son temps à consommer se condamne à ne pas avoir ce temps pour transformer le monde et pour poser des actes. De ce fait, la consommation nourrit les manques, les angoisses qu'elle prétend soigner dans un mouvement immobile sans fin.

  • Note sur la consommation comme système de sens de Baudrillard
Dans La Société de consommation Baudrillard note que, ce qui fait sens dans la société, ce qui fonde la société comme base commune, comme communauté d'existence, c'est la consommation. Pour le philosophe français, la consommation fonctionne comme système de sens - les signes de la consommation construisent un système-langage.

Mais la consommation en tant que telle est le signe ultime de la société, ce par quoi elle survit à la massification des affects. La société devenue masse sans sens ne subsiste en tant que sens que dans la consommation.

Selon le principe medium is message,
le moyen de communication construit par lui-même le sens; c'est le moyen et non ce qui est dit qui fait sens - c'est la télévision qui structure le sens ou internet ou les journaux ou la parole et non le contenu des émissions de télévision, des sites ou des journaux. Ce qui importe, c'est l'activité, c'est la nature du temps passé en contact avec les différents médias qui structurent cette dite activité et non le contenu des programmes, des journaux, etc.
la consommation est ce qui fait société en tant que médium d'échange économique, en tant que mode de structuration des affects et de la violence sociale.

Sur cette base-là, nous rappelons que la consommation impose

- le prix comme critère

- l'unification de l'offre esthétique

- la nécessaire sollicitation des affects dans l'acquisition

- le grégarisme et le conformisme

- le voilement du caractère industriel et capitaliste de la production.

La consommation gomme le fait que la violence sociale se joue entre des producteurs dépossédés et des propriétaires lucratifs accapareurs.

Pour autant, dans un système économique où les moyens de subsistance se réduisent aux marchandises à prix, la consommation est incontournable sauf à assumer des choix qui peuvent mettre la vie sociale et l'intégrité physique et mentale en danger.