- Définition
La pédagogie est la science des techniques d'enseignement.
Ce mot est aussi utilisé dans la langue de l'emploi - et cet article se concentrera sur cette acception - pour désigner l'ensemble des techniques pour manipuler les producteurs et en faire des défenseurs de points de vue et de mesures hostiles à leurs intérêts de classe.
Pour celles et ceux que cela intéresse, Acrimed a commis un article sur une spécialiste en matière de pédagogie, Christine Ockrent (ici).
- Objets de pédagogie
La première manipulation est celle de l'emploi lui-même. La notion d'emploi est reprise comme mot d'ordre, comme horizon politique indépassable alors qu'il s'agit d'un système d'exploitation inefficace, brutal et barbare. Là où il y a "pédagogie", c'est que les producteurs eux-mêmes colportent une vision du monde hégémonique opposée à leurs intérêts de classe.
Les syndicats reprennent le mot d'ordre de l'emploi, les partis politiques - même ceux qui prétendent lutter pour l'émancipation des producteurs, même ceux qui défendent des révolutions plus ou moins marxisantes.
2. La guerre contre le salaire
La "pédagogie" explique pourquoi il faut accepter une "réforme" hostile à ses intérêts, en quoi il faut soutenir la guerre aux salaires. Il s'agit aussi de faire cautionner la dégradation du droit du travail et des conditions de travail.
3. Les options diplomatiques du gouvernement du moment
Mais, là, nous quittons le champ de l'emploi stricto sensu.
- Techniques pédagogiques ou propagande
1. Il n'y a pas le choix
Le fameux acronyme anglais cher à Thatcher fait encore des émules: TINA pour "there is no alternative". Bien sûr, le fait même qu'un homme politique se sente obligé de le dire atteste qu'il y a bel et bien des alternatives. On citera pour mémoire
- l'Équateur surendetté a rompu avec sa politique monétariste de remboursement de la dette et les choses se sont améliorées
- le keynésianisme des années 50-70 aux États-Unis où le taux marginal d'imposition s'est élevé jusqu'à 91%
- le défaut islandais tout de suite sanctionné par une reprise économique, etc.
Le système de la dette n'est pas le seul envisageable: on peut financer l'investissement par la cotisation (comme dans les hôpitaux publics avant les fameux PPP - partenariat public privé: le public paie et le privé encaisse des dividendes et presse les travailleurs - qui offraient les cotisations aux entrepreneurs et aux banquiers).
Le système de l'emploi n'est pas le seul envisageable: on peut financer les salaires par la cotisation ce qui désarme l'employeur et supprime la notion de chômage.
Le système du chômage n'est pas le seul envisageable: si l'on salarie les gens en fonction de leur qualification individuelle et non de la qualification de leur poste, il n'y a techniquement plus de chômeur.
Le système de la productivité arrachée par le chantage de l'aiguillon de la nécessité, le système qui nous fait travailler dans la misère et la peur de la misère n'est pas une fatalité. On peut travailler, produire (et de manière très productive) hors de l'emploi et de la menace.
Le système de la concurrence n'est pas le seul envisageable. Même en admettant la concurrence, on peut aussi extraire du champ de cette concurrence les salaires et les conditions de travail en harmonisant les législations sociales entre partenaires commerciaux.
2. La division
L'adage "diviser pour régner" fait toujours autant d'émules. Il s'agit de casser les solidarités entre producteurs. Dans une vision producériste, les médias présentent ainsi les chômeurs et les retraités comme des coûts pour les producteurs affligés d'un emploi. C'est un contresens économique (voir ici) évidemment mais, en posant le problème de cette façon-là, les travailleurs en emploi se déchaînent contre les chômeurs et les retraités au lieu de s'attaquer à ceux qui leur empoisonnent la vie: les employeurs.
On peut aussi mentionner la communautarisation des débats, les craintes plus ou moins délirantes des minorités opprimées et/ou de leur religion. Les mêmes qui nous expliquent que l'islam est un problème (mais que devient Breivik?) nous expliquent aussi que les Roms sont un problème (alors qu'ils sont majoritairement catholiques). Ces divisions s'ancrent parfois dans l'histoire coloniale, dans l'histoire des zoos humains, elles s'appuient sur le racisme et permettent aux producteurs qui se déchirent de ne pas s'affranchir du système d'asservissement de l'emploi.
On mentionnera également comme divisions efficaces contre les producteurs, l'opposition des fonctionnaires et des autres, l'opposition des "cités sensibles" et des autres, l'opposition des ouvriers et des employés, des indépendants et des salariés, etc.
3. L'ennemi intérieur (la cinquième colonne)
La stratégie de division se prolonge dans l'insinuation, dans les sous-entendus et dans la calomnie plus ou moins ouverte. Une cinquième colonne, un ennemi intérieur aux contours forcément flous tente de s'emparer du pouvoir. Cela donne lieu à la théorie du remplacement, aux conspirationnismes les plus délirants (franc-maçons, illuminatis, etc.) obligeamment relayés par la presse lucrative.
La cinquième colonne sape le dialogue, la confiance et prévient les possibilités de s'organiser ensemble, au niveau macro comme au niveau d'une entreprise pour contrer la contre-révolution libérale en cours.
4. "Sinon, ce sera pire" (la barbarie, la crise économique, etc.)
Un grand classique. Face à la résistance à des régressions ou à l'aspiration à des progressions, le discours médiatique s'emploie à nous faire peur. Si telle mesure est refusée, ce sera le chaos (voir le référendum de 2005 en France sur le traité constitutionnel); si tel parti passe, ce sera le chaos (voir la récente campagne contre Syriza), etc. Bien sûr, si d'aventure la résistance vainc, si la mesure discutée est abrogée ou le parti honni élu, le ciel ne nous tombe pas sur la tête, tout continue (et même, curieusement, en mieux).
5. Les concurrents (chômeurs ou compétiteurs étrangers) attendent
Ah, oui, bien sûr, ce serait vraiment bien d'augmenter les prestations, les impôts, les cotisations, les salaires mais ce n'est pas possible. La concurrence étrangère nous balaierait et les emplois disparaîtraient (nous résumons). Sauf que les pays avec les salaires, les cotisations et les impôts les plus élevés sont ceux où le chômage est le plus bas. Le salaire minimum est quatre fois plus élevé aux Pays-Bas qu'en Espagne mais le chômage y est quatre fois moins élevé alors que ces pays n'ont strictement aucune barrière douanière.
Par contre cet argument captieux néglige la superbe piste de réflexion qu'il offre. Comme nous l'avons dit, il suffirait de mettre les impôts, les cotisations et les salaires hors concurrence en harmonisant les législations sociales pour pouvoir pratiquer une concurrence "libre et non faussée".
Pour la petite histoire, il faut savoir que "l'avantage comparatif" de Ricardo portait sur les marchandises (l'Angleterre et le Portugal produisent tous les deux du vin et de la laine et, par la mise en concurrence, les pays les plus à même de produire certaines marchandises, par leur avantage comparatif, s'imposent: le Portugal s'impose comme producteur de vin et l'Angleterre comme producteur de laine) et non sur les salaires ou les conditions de travail.
6. Les fausses alternatives
Les fausses alternatives sont une manière de stériliser le débat. Vous faites débattre deux personnes qui sont d'accord sur tout et en désaccord sur des détails et le tour est joué.
Variante: vous pouvez poser les termes du débat de manière biaisée. Si l'on demande: "Préférez-vous cotiser plus longtemps ou toucher moins de retraite?" cela évacue la possibilité d'augmenter le taux de cotisation, par exemple. Autres exemples: "Vous préférez travailler à votre compte ou pour un patron?" évacue l'idée d'un salaire inconditionnel et d'une activité professionnelle non lucrative; "Vous voulez augmenter les impôts pour payer les dettes ou baisser les dépenses sociales?" sous-entend que les prestations sociales sont des dépenses alors qu'elles augmentent le PIB et, surtout, évacue du débat la question du défaut sur les intérêts d'une dette déjà payée plusieurs fois.
7. La liberté du mouton
Ah, la fameuse liberté. L'employé doit vendre sa force de travail par contrainte (sinon, il sombre dans la misère et l'isolement social). C'est ce que les "pédagogues" appellent la "liberté". De même, au nom de cette liberté, il faudrait laisser les gens travailler le dimanche, les enfants aller à l'usine et les retraités travailler. Le problème, c'est que, avec le jeu de la concurrence, avec les travailleurs qui acceptent les nouvelles "libertés", les salaires diminuent à mesure que l'offre de travail se fait plus pléthorique, ce qui contraint les travailleurs à accepter l'inacceptable pour conserver le même niveau de vie.
Au final, au nom de la "liberté pédagogique", c'est la liberté tout court qui sombre. Il faut en tout cas rappeler qu'aucun employé ne peut refuser les demandes d'heures supplémentaires, de travail du dimanche de son patron de peur de perdre son emploi et aucun employé ne peut travailler des heures supplémentaires ou le dimanche si son patron ne souhaite pas qu'il le fasse.