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Note de lecture de Koen Vleminckx, La sécurité sociale comme instrument de paix et de justice sociale in Revue belge de sécurité sociale, 4e trimestre 2014, pp. 427-444.
Henri Fuss a eu un rôle déterminant dans la genèse de la sécurité sociale belge (voir l'article ici). Ce n'est sans doute pas le seul personnage qui ait eu de l'importance dans cette genèse mais il demeure en tout cas attachant à plus d'un titre.
1. Enfance
Né à Schaerbeek d'un père avocat et échevin et d'une mère poitevine. Sa sœur se maria avec le libéral Paul Janson, un libéral qui a promu le suffrage universel.
En 1893, il se retrouve tragiquement orphelin. Il est recueilli par son oncle.
2. Anarchiste et volontaire de guerre
Il abandonne ses études après ses candidatures à l'ULg. Il est attiré par l'anarchisme professé alors par Elisée Reclus à Bruxelles.
Il étudie pour devenir imprimeur et typographe tout en étant répétiteur en mathématique pour les étudiants. Anarchiste actif dans les cercles, il se fait arrêter en 1906 pour avoir rédigé un article intitulé "Paroles de révolte et d'espoir". Il sera également arrêté pour avoir refusé de faire son service militaire.
Tout en demeurant journaliste actif dans les organes anarchistes, il termine son droit à Paris.
[I]l se découvre une nouvelle vocation: lutter contre le chômage et combattre en faveur d'une assurance-chômage. En 1910, il devient secrétaire de la Conférence Internationale sur le chômage. (p.429)Il s'engage militairement contre l'Allemagne en 1917 et abandonne alors toute activité anarchiste.
3. 1918-1936: le BIT et l'assurance-chômage
Il collabore avec le ministre Joseph Wauters après la guerre pour créer un fonds national de crise qui accordait une aide à des chômeurs assurés dès que les ressources de leur caisse étaient taries. Ce fonds était garanti par l'État.
De 1920 à 1936, il est détaché auprès du service chômage et émigration du BIT à Genève. Il collabore à des missions d'étude et de formation dans les États membres de l'OIT et participe en tant qu'expert à des conférences internationales sur le travail. En 1924, il est secrétaire général du "Congrès international de politique sociale" présidé par Albert Thomas et en 1925, il devient membre du comité de direction de "l'Association internationale pour le progrès social".
Il acquière une reconnaissance international comme expert sur le chômage et publie sur le sujet. En 1933, il est nommé chef de la section chômage du BIT.
4. 1936-1940: Commissaire pour le problème du chômage
Sous la direction de Paul Van Zeeland, Fuss est nommé commissaire royal pour le problème du chômage. Cette demande intervient alors que les forces fascisantes de Rex et du VNV montrent des crocs dans le royaume.
À cette époque, la Belgique n'avait pas institué d'assurance-chômage obligatoire, mais les ouvriers et les employés pouvaient s'affiler volontairement à l'une des 126 caisses syndicales de chômage présentes dans [le] pays. (p. 431)Certaines caisses devaient indemniser des chômeurs nombreux et certaines n'indemnisaient pas leurs membres au chômage. Ces caisses étaient soutenues par le gouvernement, ce qui ne plaisait pas toujours aux employeurs. Ces caisses avaient une certaine latitude pour fixer les indemnités ce qui influençait les salaires au désespoir des employeurs.
Dans le premier rapport de 1937, Fuss prône un renforcement du rôle des pouvoirs publics dans la gestion d'assurance-chômage.
L'assurance-chômage serait financée à partir de cotisations des employeurs et des salariés, et complétée par des moyens provenant des pouvoirs publics. (...) le rôle des syndicats dans le versement des indemnités de chômage serait (...) conservé. (p. 432)Fuss axe néanmoins le calcul des indemnités sur les besoins et propose une limitation dans le temps des indemnités et un contrôle des chômeurs par la commune.
Il avait prévu de suspendre l'indemnité notamment en cas de refus d'un emploi approprié. (p. 433)Le plan est rejeté aussi bien par les syndicats que la partie conservatrice du patronat.
5. Il mène la concertation clandestine pendant la guerre
Pendant la guerre, il doit travailler dans la clandestinité comme journaliste engagé et comme enseignant. Il conseille et coordonne divers groupes de résistants. Il reste en contact avec Londres, distribue aux deux syndicats (catholique et socialistes) l'enveloppe remise par le gouvernement en exil.
Il lance la concertation sociale clandestine en 1941. Il rencontre les syndicats, catholiques et socialistes, et les patrons. La concertation clandestine se déroule dans un comité sans nom officiel. Les réunions hebdomadaires avaient lieu en divers endroits. Bien qu'il y ait davantage de représentants syndicaux, le comité était paritaire dans l'esprit
"puisque ces travaux ne pouvaient aboutir à un résultat positif que par l'accord de tous."(1)Il fallait vite pour revaloriser certaines allocations dans l'urgence des besoins de l'après-guerre. Les négociateurs tenaient à affirmer des principes comme la gestion paritaire, le caractère professionnel et la solidarité. Ils avaient opté pour une solution non étatique avec une gestion paritaire. Ils s'efforçaient de rendre obligatoires toutes les dispositions d'assurance sociale qui avaient vu le jour entre les deux guerres. Le système de sécurité sociale seraient financé par cotisations. L'ensemble des cotisations serait géré par un organisme parastatal à créer: l'ONSS.
7. Signature du pacte de solidarité sociale (1944-45)
Les propositions des négociateurs (qui entendaient s'occuper des indépendants ultérieurement - on attend toujours) ont servi de base au modèle social belge. Mais les négociateurs ont eu du mal à convaincre leurs bases. C'est un "projet" d'accord qui est signé et envoyé à Londres. Le 10 octobre 1944, une conférence sur le travail est organisée. Mais le "projet" d'accord n'a pu être évoqué faute de temps à la stupéfaction des partenaires sociaux. À 17h, la séance fut réouverte et le "projet" d'accord fut
immédiatement réintroduit dans les résolutions de la conférence nationale du travail. (p. 438)Le "projet" fut mis en place dans l'urgence car les controverses se multipliaient à son encontre, tant du côté syndical que du côté patronal.
Le 28 décembre 1944, c'est donc par arrêté-loi que le "projet" prend force de loi.
8. 1945-1957: conclusion d'une carrière riche
Comme directeur du ministère du travail et de la prévoyance sociale, Fuss coordonne l'organisation concrète de la sécurité sociale. Il représente aussi la Belgique auprès du BIT entre 1945 et 1947. Jusqu'en 1953, il sera le correspondant du BIT pour la Belgique et le Luxembourg.
En 1949, Eyskens le nomme Commissaire d'État pour la sécurité sociale. Il doit radiographier la sécu, son organisation, son financement et son fonctionnement. Il doit proposer des réformes structurelles définitives pour instituer un système de sécurité sociale et étudier le problème des indépendants.
Les tensions se font jour entre Fuss et l'autre commissaire. Ils écrivent deux rapports distincts. Fuss est plus pragmatique et prône un renforcement progressif du caractère universel de la sécurité sociale.
Le rapport, trop incohérent, est classé mais il inspirera par la suite.
(1) cité par Vleminckx: H. Fuss, La genèse clandestine de la sécurité sociale en Belgique, 1958, p. 2.