Dans le domaine de l'emploi, l'irénisme est un chancre intellectuel qui empêche de comprendre les conflits qui se posent effectivement. La négation des clivages, des luttes de classe au sein d'un pseudo-sujet social nie les intérêts des dominés dans ce champ, elle réduit la représentation de la catégorie à celle de sa frange dominante dont les intérêts sont opposés à ceux de la frange dominée. L'irénisme permet d'évacuer les intérêts des dominés de l'espace de représentation sociale, ce qui est fort commode dans le cadre de la lingua servitutum officiorum, de la langue de l'emploi.
Les propriétaires lucratifs et les employés ont des intérêts irréductiblement opposés. La valeur ajoutée est distribuée soit aux salariés, soit aux actionnaires - si les seconds se l'accaparent les premiers en sont privés. Par ailleurs, le lucre qui régit le monde de l'emploi empêche la créativité des employés de s'exprimer.
L'irénisme va nier cette opposition dans le fantasme de l'entreprise.
Les patrons n'ont pas tous les mêmes intérêts. Les patrons-propriétaires ont intérêt à augmenter les marges et à diminuer les salaires mais les entrepreneurs passionnés par leur métier sont surtout préoccupés par la pérennisation de leur activité, par l'extension de leurs domaines d'activité - c'est-à-dire, entre autres choses, par la valorisation des qualifications de leurs employés.
L'irénisme va rassembler ces deux conceptions opposées de l'entreprise dans la fiction du Medef ou de la FEB qui ne représentent que les propriétaires.
De même, les concepts corporatistes gomment les différences sociales, la divergence des intérêts entre les différentes composantes des professions. Les journalistes, par exemple, constituent un univers social profondément clivé. Quel point commun entre les pigistes payés au lance-pierre et les chiens de garde de l'ordre dominant?
Par contre, une vision iréniste, lisse de la profession permet de cacher les précaires derrière les stars, plus visibles, et, ce faisant, de masquer les intérêts sociaux, les intérêts de producteurs de la majorité des journalistes.
Les propriétaires constituent aussi un sujet fantasmatique étranger à la guerre entre le lien aux salaires des intérêts immobiliers et le lien aux dividendes des intérêts mobiliers.
Nier cette divergence entre propriétaires permet d'emmener les propriétaires immobilier hors du terrain du salaire - au risque d'y perdre leur culotte. Plus fondamentalement, l'irénisme de la propriété permet de confondre les intérêts ou les aspirations de la propriété d'usage et de la propriété lucrative (qu'elle soit mobilière ou immobilière). Cela gomme la spécificité, la légitimité de la propriété d'usage et, inversement, cela légitime la propriété lucrative et gomme le vol de propriété d'usage et de temps humain qu'elle implique.